lundi 24 avril 2017

Lendemain de premier tour

Toute élection présidentielle est un saut dans l'inconnu. Quoique l'on puisse dire, on ne vote pas pour un "projet", car on sait qu'il sera oublié après l'élection. On vote pour un style qui annonce une orientation, une attitude, que l'on espère à la hauteur de la fonction et des défis qu'elle comporte. Cette évaluation intuitive et globale des divers candidats est sans doute plus fiable que celle qui s'appuie sur la lecture de leur "programme".

Les défis sont nombreux. L'un est la "malédiction de l'Elysée", une perte du sens des réalités, du contact avec les choses et les personnes : c'est la rançon du mode de vie qui suit l'accès à la fonction suprême.

L'autre est le ressentiment, la haine, qui s'éveillent dans le cœur des "politiques" envers un nouveau venu qui, loin de se laisser bizuter par les anciens, leur a raflé le prix d'excellence. Ils vont vouloir le lui faire payer en l'assassinant, au moins politiquement et fût-ce en se suicidant eux-mêmes.

Sa victoire face à Marine Le Pen est certaine mais on a tort de faire du Front national un épouvantail : l'orientation qu'il incarne étant une composante de notre histoire, il faut la connaître et la comprendre - ce qui ne veut pas dire qu'on l'approuve !

Cette orientation est, sous le masque d'une adhésion de façade à notre République, celle de la réaction anti-républicaine qui a inspiré la restauration sous Charles X, la collaboration avec l'Allemagne nazie sous Pétain, le putsch des généraux à Alger en 1961, et qui inspire encore une admiration nostalgique pour les régimes de Franco et de Salazar. La diaboliser, dire que l'on en a peur, lui opposer un "non" sans discussion, tout cela ne fait que lui donner plus de prestige.

*     *

En regardant hier soir Emmanuel Macron j'ai pensé à Bonaparte et à Gorbatchev.

Talleyrand a dit du premier Consul "il comprend tout ce qu'il voit et devine tout ce qu'il ne voit pas" : Bonaparte s'était formé à la politique dans le chaudron corse, rude école, et il avait le bon sens qu'il perdra devenu empereur. Il a construit le socle institutionnel de la République après le bouleversement de la révolution et les errements du directoire.

Gorbatchev a tenté de sauver, en les réformant, un système politique à bout de souffle et une société que Lénine, puis Staline, avaient désarticulée et bureaucratisée : il a accéléré la faillite de l'URSS.

Celui qui ambitionne de reconstruire les institutions peut réussir comme Bonaparte ou échouer comme Gorbatchev. Cela dépendra en partie de la façon dont il contrôlera et utilisera les moyens mis en principe à sa disposition : la politique n'étant pas le monde des Bisounours, un dirigeant doit savoir tenir en respect ceux qui ont juré sa perte. J'espère pour Emmanuel Macron qu'il saura trouver des hommes de la trempe de Roger Wybot, Gaston Defferre ou Charles Pasqua.

Il a des atouts. Il connaît bien la Banque, dont la technicité intimide la plupart des politiques : il sera bien placé pour contenir la prédation qu'elle exerce sur l'économie productive. Il s'est dit favorable à l'Europe, qu'il veut réformer : il pourra s'opposer à ses usurpations sur la souveraineté des nations. Il n'est ni de droite, ni de gauche : il pourra détourner l'exécutif des querelles partisanes pour le focaliser, comme il se doit, sur l'exécution de ses tâches et le fonctionnement des institutions.

Certains le disent jeune et inexpérimenté, mais sa jeunesse fait honneur à un pays que tant d'autres, se livrant aux délices de la Schadenfreude, veulent croire irrémédiablement racorni (cela s'étale dans la presse étrangère). C'est tant mieux s'il n'a pas dû piétiner dans les couloirs pour mendier une éligibilité auprès des partis et acquérir ainsi ce qui constitue la seule "expérience" des "politiques", et qui ne prépare aucunement à agir en homme d'Etat...

7 commentaires:

  1. Nous sommes donc désormais sur des positions irréconciliables.

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    1. Cela n'empêche pas de rester bons amis : il n'y a pas que la politique dans la vie.
      M'as-tu cependant bien lu ? Ce texte est subtil.

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  2. De Gaulle a été un génie de l'utilisation de la radio pendant la Résistance, de la télévision pendant la 5ème République. Macron saura-t-il être un génie de l'utilisation de l'internet ? Non pas comme outil de propagande, mais comme outil de démocratie participative et décentralisée, à la française ( et non à l'américaine) ? Je crois avoir quelques idées sur ce sujet
    http://www.hemmelel.fr/blog/2016/11/01/si-jetais-candidat/

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  3. Jean-Maurice PARNET2 juin 2017 à 12:11

    1/ M. Volle, vous m'avez perdu aussi: notre intimité n'est pas celle que vous entretenez avec Claude Rochet mais une chose est sûre: je ne peux faire nulle confiance à quelqu'un dont il sera démontré prochainement qu'avec ses équipes de Bercy, la duplicité du Canard et l'aide constante de son mentor Hollande et des magistrats pourris à la botte de ce dernier, a - je pèse mes mots - volé la victoire à la droite classique;
    2/ par ailleurs jamais entendu parler de Wybot (?) mais mettre en exergue deux escrocs maffieux l'un de gauche l'autre de droite comme Defferre et Pasqua est absolument positivement inacceptable et inqualigiable ...
    Ce qui démontrera, s'il en était besoin (!) que l'on peut être un excellent ingénieur et/ou scientifique ET, en même temps se forger des modèles qui laissent VRAIMENT à désirer sur le plan moral.

    Courtoisement vôtre
    J M Parnet, Amboise

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  4. Je conçois que l'on puisse regretter la défaite de la droite classique : chacun peut avoir sur ce point sa propre opinion.
    Sur Wybot, voir Philippe Bernert, Roger Wybot et la bataille pour la DST, Presses de la Cité, 1975.

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  5. Cher Michel, permettez-moi la franchise, ces lignes ne sont pas dignes de vous. Où est passé votre esprit critique ? Qu'est devenue votre remarquable rigueur intellectuelle, que j'apprécie tant (je viens encore de me délecter à la lecture de quelques unes de vos contributions sur l'IA, sur lesquelles je reviendrai sans doute un autre jour, tant vos écrits sont intellectuellement stimulants) ? Je ne vois qu'une seule explication à ce constat: vous avez succombé à la séduction. Cette troublante séduction orchestrée par un monde médiatique qui est occupé à achever ce qui nous reste de démocratie dans ce qui mérite de plus en plus, hélas, le qualificatif de farce électorale.
    N'avez-vous pas vu, pourtant, la construction politique et médiatique de ce candidat ? D'accord ce n'est pas une tare que de ne pas être sorti du sérail, nous sommes bien d'accord. Bien sûr sa connivence avec les milieux bancaires n'est pas une maladie honteuse, mais vous avouerez quand même qu'à notre époque de grande criminalité en col blanc (légitimée dans les faits et dans les lois et/ou l'absence délibérée de réglementations contraignantes), vu tout cela donc, on pourrait quand même espérer d’un président qu’il choisisse mieux , ou en tout cas dans d'autres sphères, ses amis. Et votre argument selon lequel cela lui permettra de faire face plus efficacement aux pressions des milieux financiers ... Allons, restons sérieux, Michel, c'est un processus de prise de pouvoir, il faut oser le dire. Rappelons-nous: Obama arrive à la présidencer en 2008, et qui appelle-t-il aux postes clés des instances de contrôle de la finance ? Les mêmes, ceux qui ont précipité la crise financière. Et qu'ont-ils fait ? Ont-ils battu leur coulpe, ont-ils fait usage de leur savoir pour construire des mécanismes empêchant le retour du pire (il faut quand même rappeler que derrière ces termes de crise économique il y a la souffrance réelle de dizaines, de centaines de millions de gens, jusque dans leur chair !)? Non bien sûr , ils ont remis le couvert, et nous sommes repartis pour le pire encore. Bon, je me recentre. Observez maintenant comment ce président compose son gouvernement. La société civile ? C'est ainsi que l'on dénomme ces nouveaux venus dans la politique qui remplissent de nombreux postes au gouvernement et dans les cabinets. Mais non, ce sont des lobbyistes, des transfuges du monde des affaires. D'accord, le monde des affaires, les grandes entreprises et leurs organisations ont leur place dans notre société, mais pas au gouvernement. Et pas à l'assemblée nationale car on voit bien la manœuvre, à nouveau portée par les médias, de la mise en scène d'un projet commun autour duquel nous devrions nous rassembler u moment de passer une nouvelle fois dans l’isoloir. Derrière l'adulation (je ne vois guère d'autre terme) générale pour ce Monsieur Macron, à laquelle vous avez hélas sacrifié, se trouve un projet politique qui apparaît pourtant au grand jour (pour ceux qui ne l'auraient pas vu venir ces derniers mois) avec la formation de ce gouvernement. Et je n'hésiterai pas à parler de trumpisation de la vie politique, c'est-à-dire la confiscation du pouvoir par les grandes forces économiques et leurs intérêts.
    Je me devais de vous dire, cher Michel, ce que m'a inspiré votre texte. Par respect pour vous et vos grandes qualités intellectuelles et humaines. Ne participez pas, je vous prie, à cette grande mascarade, vous valez bien mieux que cela. Et j'espère que nous pourrons poursuivre ces échanges en toute convivialité prochainement.

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    1. Cher Michel,
      Emmanuel Macron n'a pas été poussé vers l'élection par une force, il a été aspiré par le vide de la droite, de la gauche et des deux extrêmes. Il comble ce vide.
      Je n'ai pas le concernant d'a priori favorable ni défavorable : j'attends de voir son action pour me faire une opinion.
      Ses origines, son passé et le style de sa campagne ne suffisent pas pour le disqualifier, même s'ils invitent à la défiance. Je souhaite qu'il fasse tout son possible pour restaurer la qualité de nos institutions : le fera-t-il ? Je n'en sais rien. L'avenir tranchera la question.

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