lundi 20 février 2017

Taxer les robots serait une faute historique

Taxer les robots pour protéger l'emploi semble une idée naturelle puisque le robot travaille à la place des êtres humains auxquels il se substitue. Elle est soutenue par Bill Gates, elle paraît avoir convaincu une majorité des Français.

Cependant les taxes sur le travail sont la contrepartie de prestations sociales (retraite, chômage, santé) qui n'ont aucun sens s'agissant des robots. Taxer les robots viole d'ailleurs un principe de la fiscalité : l'impôt porte sur la richesse que crée une entreprise et non sur ses équipements.

Automatiser les tâches répétitives fait passer de la main d'œuvre au cerveau d'œuvre qui implique des compétences, une formation et une organisation nouvelles. Ceux qui disent qu'il faut limiter le nombre des robots pour « protéger l'emploi » tentent donc, comme les luddites en 1811-1812, de perpétuer une forme de travail devenue obsolète. Or la France est en retard : elle ne possède que 125 robots pour 10 000 salariés dans l'industrie alors que l'Allemagne en compte 4371. Il n'est pas opportun de freiner son investissement.

Plus profondément, ceux qui voient dans le robot un travailleur semblable à l'être humain sont proches du mouvement d'idées qui postule que l'« intelligence artificielle » possède les mêmes aptitudes que l'intelligence humaine. Le robot serait une « chose qui pense », chimère qu'il est facile d'imaginer mais dont il est osé d'espérer la réalisation.

Ce mouvement d'idées s'exprime dans un rapport présenté au Parlement européen et qui propose de considérer les robots comme des personnes dotées de droits, devoirs et responsabilités. Or tandis que l'action d'une personne exprime des intentions et des valeurs un robot n'a pas d'intention propre : son action exprime les intentions et valeurs de la personne qui l'a programmé, dont elle engage la responsabilité.

L'iconomie fait apparaître un être nouveau, l'« être humain augmenté », doté de facultés inédites et capable d'actions auparavant impossibles2. L'avenir n'appartient ni à l'automatisation absolue, ni au maintien de formes d'emploi obsolètes, mais à la symbiose de l'être humain et de l'automate informatique.

Pour la réussir il faut avoir conscience de leur différence, percevoir ce que chacun peut faire mieux que l'autre afin de les articuler raisonnablement. Voir dans le robot un équivalent du travailleur humain et le taxer en conséquence, c'est inhiber et retarder les apports de cette symbiose.

Taxer les robots serait donc une faute historique.
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1 World Robotics, International Federation of Robotics, 2016.
2 « The strongest chess player today is neither a human, nor a computer, but a human team using computers. » (Devdatt Dubhashi et Shalom Lappin, « AI Dangers: Imagined and Real », Communications of the ACM, février 2017).

8 commentaires:

  1. Pas du tout d'accord.
    Disons que, plutôt que des taxes, il devrait acquitter des charges sociales.
    En outre, on peut très bien considérer qu'un robot a une intention propre. Même pas besoin d'un robot : n'importe quel dispositif comportant une bouche cybernétique avec une valeur assignée a une "intention propre".
    D'ailleurs n'importe quel objet physique a une intention propre : continuer d'exister, ou de se mouvoir selon les loins de Newton...
    Je pense que le raisonnement de Michel est une pure spéculation théorique sur des termes de droit et de psychologie.
    Lire plutôt "Le revenu de base", de Le naire et Lebon.

    Bon, tout ça se discute, j'en conviens.

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    1. Ça se discute en effet.

      Ceux qui pensent qu'un robot est une personne s'interdisent de concevoir comment un robot et une personne peuvent s'articuler pour former une symbiose.

      L'art des systèmes d'information réside dans le partage des tâches entre le cerveau humain et l'automate informatique, partage qui tire parti de ce que chacun des deux fait mieux que l'autre.

      Considérer les robots comme des personnes incite par ailleurs à considérer les personnes comme des robots, à leur imposer un programme dont elles ne pourront pas s'écarter. Certaines organisations, certains régimes politiques nient ainsi le discernement et l'initiative des humains.

      L'informatisation, l'automatisation peuvent faire émerger une barbarie ou une civilisation. Tandis que la barbarie se nourrit d'une confusion entre le réel, le possible et l'imaginaire, la civilisation s'appuie sur la clarté d'esprit qui les distingue.

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  2. Bonjour Mr VOLLE.
    En ce moment, je m'intéresse à l'éthique et vient de lire votre article.
    Il y a toujours 3 raisons pour justifier la non-adaptation ou la corruption d'un système: la perte des compétences (y compris dans les matières scientifiques qui formentl'esprit d'une certaine manière), l'ignorance et la cupidité (y compris l'argent).
    C'est donc un monde duquel les responsables n'ont pas l'intention de sortir, car il est confortable, ne demande que peu d'efforts, et .... satisfaisant à court terme (la nature 'jouant' sur la dialogie et sur le fait qu'elle évolue , en partie, comme un système proie-prédateur).

    La robotique, logiquement, finira donc par être taxée, car ce sont des pompes en 'argent' et parce qu'elle sème le 'malheur' et le chomage derrière elle.
    Et... que dire de la robotique cognitive, avec WATSON (IBM)? Elle va même dévorer notre conscience !
    Tout cela va contre la morale actuelle et mérite donc d'être taxé.
    On n'est plus dans la rationalité, ou dans les mathématiques, mais dans la philosophie émotionnelle.
    Bonne journée.

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    1. Qu'est-ce que la « philosophie émotionnelle », sinon une émotion irréfléchie ?

      Watson et autres instruments analogues ne dévorent pas notre conscience plus qu'une encyclopédie ne dévore notre mémoire : ce sont des outils qui s'offrent à nous pour réaliser nos intentions et incarner nos valeurs dans le monde.

      Il faut cependant savoir s'organiser pour les utiliser. Cela demande une réflexion finement attentive aux conditions pratiques de l'action, cela nécessite des compétences et organisations nouvelles : il s'agit de former les êtres nouveaux qui résultent de la symbiose de l'individu humain et de la ressource informatique, puis d'organiser leur synergie dans l'action collective.

      Le danger ne réside pas aujourd'hui dans les ordinateurs, robots et automates, mais dans la séduction des solutions de facilité : on s'oriente vers une barbarie quand on confond la brutalité avec l'énergie, la « production d'argent » avec la création de richesse, la pensée avec l'émotion.

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    2. En rédigeant le commentaire, à chaud, j'ai cherché un mot sans le trouver; mais c'est bien de l'émotion irréfléchie.
      Je me permet de citer un ouvrage sur 'Sustainability Calling' paru chez J.Wiley. La loi de Moore est une loi générale et l'introduction d'une nouvelle technologie fait toujours émerger de nouvelles activités/métiers/opportunités d'affaire.
      Donc dans la mesure ou le niveau de l'emploi va s'en trouver amélioré, il n'est nullement besoin de taxer des robots.

      De plus, le robot n'est pas prêt de remplacer l'humain pour plusieurs raisons: les programmes sont basés sur des approches binaires prédéfinies ou apprises; alors que l'homme est capable de gérer le flou, l'incertain et l'intuitif. D'autre part le robot n'est pas (encore?) en mesure de percevoir ou d'exprimer des émotions et des sensations.

      Donc vouloir taxer un robot , comme un humain , n'a pas de sens.
      EN Allemagne ou le nombre de robots est bien plus important qu'en France, ces derniers ne sont pas taxés et le chômage est d'ailleurs moindre que le notre, en France.

      Il n'y a donc aucun lien causal entre la robotisation ou automatisation et la dégradation de l'emploi. Bien au contraire . Aucun lien entre robotique, cobotique, humanoïdes, androïdes et la dégradation de notre Dette.
      Je suis donc désappointé par cette cabale sur la taxation des robots et c'est un faux débat (à moins qu'il y ait une tactique sous-jacente, pour éviter de parler des vrais problèmes que nous avons).

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  3. Bonjour
    Il me semble que ce qui est au coeur du débat, c'est le travail humain. Les robots remplacent le travail humain c'est un fait, mais est-ce que de nouvelles formes de travail humain ne vont elles pas émerger ? Et en quantités supérieures à l'augmentation démographique ?

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    1. Excellente remarque. Un travail n'est véritablement "humain" que s'il occasionne le développement des facultés humaines. Faut-il regretter que le robot exécute maintenant des tâches répétitives dont on déplorait naguère le caractère "aliénant" ?

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  4. Pour être précis sur le contexte du débat actuel, le programme de Benoît Hamon propose de taxer la valeur ajoutée crée par les entreprises ("Je propose donc de taxer cette richesse – en appliquant les cotisations sociales sur l’ensemble de la valeur ajoutée et non plus seulement sur le travail" - https://www.benoithamon2017.fr/thematique/pour-un-progres-social-et-ecologique/) ce que, il me semble, votre texte soutient également ("l'impôt porte sur la richesse que crée une entreprise et non sur ses équipements").

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