lundi 3 août 2015

La véritable « troisième révolution industrielle »

On entend souvent dire que la troisième révolution industrielle réside dans la transition énergétique : c'est la thèse que Jeremy Rifkin défend dans The Third Industrial Revolution, elle a convaincu beaucoup de personnes.

La transition énergétique répond à une contrainte : il faut limiter le changement climatique que provoquent les émissions de gaz à effet de serre. Comme tout ce qui concerne l'énergie, elle a des conséquences géopolitiques. Elle comporte des innovations, car il faut savoir capter l'énergie du soleil, du vent, de la mer, etc. pour disposer d'autres sources d'énergie que le charbon et le pétrole.

Il ne convient donc pas de la sous-estimer ni de sous-estimer la contrainte à laquelle elle répond. Mais constitue-t-elle vraiment une révolution industrielle ?

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Cette expression désigne ce que fait émerger une transformation des possibilités offertes à l'action productive. La mécanisation à la fin du XVIIIe siècle, la disponibilité de sources nouvelles d'énergie à la fin du XIXe siècle, ont effectivement offert des possibilités techniques radicalement nouvelles, élargi le terrain offert à l'action, transformé la relation entre la société et la nature. C'est donc à bon droit qu'on les a qualifiées de « révolution industrielle ».

Peut-on dire qu'il en est de même lorsque la transformation résulte non de possibilités techniques nouvelles, mais de la réponse à une contrainte ? Cette réponse comporte certes des innovations, mais qui s'appuient sur le patrimoine des techniques connues et non sur des techniques radicalement nouvelles.

C'est pourquoi il me semble que la transition énergétique usurpe le label « révolution industrielle ». Cela s'explique par plusieurs raisons qui jouent simultanément.

D'abord elle répond à un vrai problème, celui du réchauffement climatique, et ce faisant elle suscite des innovations. Cela ne suffit cependant pas à la qualifier de révolution industrielle.

Ensuite, elle satisfait le désir d'un rapport intelligent avec la nature, s'appuyant sur une technique moins oppressive que naguère. Elle représente ainsi, à la limite, la seule forme de croissance que puissent tolérer les partisans de la « décroissance ».

Au total, elle est sympathique et bien vue : un politique qui en fait sa priorité ne court aucun risque car elle est politiquement correcte. C'est cela qui explique le succès de la thèse de Rifkin, les flux budgétaires impressionnants qu'elle a déclenchés.

Pendant ce temps une révolution industrielle véritable déploie ses conséquences dans la discrétion et, peut-on dire, de façon souterraine : c'est celle de l'informatisation, qui offre d'ailleurs des possibilités nouvelles à la transition énergétique elle-même.

Mais « informatisation » est jugé ringard. On préfère dire « numérique », mot utilisé principalement et malgré son étymologie pour désigner les usages de la ressource informatique. Cela détourne l'attention des possibilités que celle-ci apporte, et aussi des dangers qui les accompagnent.

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Les écologistes se partagent entre deux orientations qui se disputent : les uns militent pour la transition énergétique, les autres pour la décroissance. Tous se trouvent cependant d'accord pour ne pas accorder d'importance à l'informatisation.

Si on la considère comme une révolution industrielle, pensent-ils en effet, cela va distraire les volontés que mobilise aujourd'hui la transition énergétique : les gens vont croire que l'informatique peut régler le problème du réchauffement climatique et qu'il n'est donc pas nécessaire de faire des efforts pour économiser l'énergie ni pour trouver de nouvelles sources d'énergie. Pour maintenir cet objectif en haut de la liste des priorités, il leur faut donc nier les apports de l'informatique : ils répètent d'ailleurs volontiers que la production et l'utilisation des ordinateurs consomment de l'énergie...

Il se trouve cependant que l'informatisation libère une ressource naturelle, celle qui réside dans le cerveau humain et que l'industrie laissait jadis en jachère dans la main d’œuvre. Or contrairement à l'énergie d'origine fossile, cette ressource-là est illimitée car on ne peut pas assigner de limite a priori au potentiel initial du cerveau d'un être humain.

Le secret de l'informatisation réside dans la façon dont cette ressource est mise en œuvre dans la conception des ordinateurs, dans leur programmation, dans les processus productifs, dans l'utilisation culturelle ou ludique de l'informatique. Contrairement à ce que prétendent les tenants les plus extrêmes de l'intelligence artificielle, l'automatisation absolue n'est pas la panacée : la réussite de l’informatisation suppose l'articulation judicieuse de l'automate programmable avec le discernement et l'initiative du cerveau humain.

La mobilisation de la ressource que chacun porte dans son cerveau pose des questions subtiles. Elles devraient intéresser les écologistes mais pour les raisons que nous avons évoquées ils refusent de les prendre en considération. Jean-Marc Jancovici par exemple tire, en s'appuyant sur les lois de la thermodynamique, des conclusions définitives de la corrélation entre le PIB et la consommation d'énergie : il ne veut pas voir que l'informatisation introduit une néguentropie.

4 commentaires:

  1. Cher Michel,

    Un grand merci pour votre tribune
    lumineuse et stimulante.

    Les personnes intéressées par l'alliance
    entre les AUTOMATES et le CERVEAU
    trouveront des compléments utiles
    dans les travaux passionnants
    de Pierre Moorkens et de ses collaborateurs
    sur la neuroplascticité du cerveau humain
    et sur ces applications multiples
    (éducation, programme de formation, non violence, gestion du stress, ...).

    Voir en particulier le site http://www.neurocognitivisme.fr/fr/index.php

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  2. Bonjour

    Un article synthétique et lumineux, au beau milieu de la torpeur d'août que je lis, relis et essaye d'assimiler avec les couleurs d'automne.

    Une seule chose me gêne dans cette fresque : c'est le mot "informatisation". On informatise quelque chose qui est mécanique, électronique etc.

    Or, il me semble que la "troisième révolution industrielle" devrait s'appuyer essentiellement sur des innovations informatiques : des choses nouvelles qui n'existaient pas auparavant. Un terme tel que "innovation informatique" serait peut-être plus judicieux ou un autre ?

    Peut-être ai-je mal compris ?

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    1. L'informatisation ne s'applique pas seulement à des choses : elle s'applique aussi à une entreprise, une société, voire même un mode de vie. Cela fait émerger un monde nouveau, théâtre de multiples innovations.

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    2. Oui, j'aurais pu ajouter : on informatise une entité qui n'est pas *déjà* informatisée. Or, dans nos sociétés presque tout s'appuie sur l'informatique. Par exemple, les tournées des préposés aux postes (les "facteurs") leurs sont délivrées sur clé usb. C'est une informatisation d'un procédé existant. Une innovation "révolutionnaire" pourrait consister à avertir via un courriel ou autre de la future présence de courrier dans la boite aux lettres matérielle (c'est peu réaliste mais c'est un exemple). Ce terme d'informatisation s'applique mal au dernier cas. Et pourtant c'est grâce à ces nouveautés que la "troisième révolution industrielle" pourrait s'appuyer. Beaucoup de choses ou de procédés sont déjà informatisés (et même trop dans certain cas, cela rélève du gadget).

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