dimanche 30 novembre 2014

Notre droite

J'ai beaucoup d'amis à droite. Ils sont certes conservateurs mais avec eux on ne subit pas le « ya qu'à, faut qu'on » hypocrite des gens « de gauche » ni l'inconséquence des trublions. Ils respectent les institutions, ils parlent un français correct, ils sont courtois et attentifs avec les personnes.

Il est ainsi plus utile aujourd'hui de lire Raymond Aron, qui a publié des éditoriaux dans le Figaro, que de lire Jean-Paul Sartre – bon écrivain sans doute, mais dont la pensée a souvent déraillé.

Notre droite, qui forme une moitié de la population française, n'est cependant pas constituée que de ces personnes intelligentes, correctes et cultivées : en votant hier pour celui que les Russes qualifient de « lapin cocaïnomane » elle a accordé une prime à la vulgarité et s'est montrée une fois de plus dupe d'une énergie factice, d'un activisme brouillon, d'un électoralisme forcené.

Oui, électoralisme : j'ai entendu Nicolas Sarkozy dire, lors d'un déjeuner organisé par l'Expansion, « il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : la seule chose qui compte, en politique, c'est de gagner les élections ».

Le fait est qu'il sait s'y prendre. Mais le virtuose de la bataille électorale restera inévitablement lui-même une fois élu : sa principale préoccupation ne sera pas de diriger un parti ni un pays, mais de gagner l'élection suivante.

Ainsi l'écureuil grimpe et regrimpe à l'arbre comme Nicolas Fouquet dont la devise était « Quo non ascendet », « Jusqu'où ne montera-t-il pas ». Plus dure sera la chute, certes, car un tel destin est tragique. Mais en l'attendant nous restons encore privés d'un stratège qui soit capable d'indiquer à notre pays une orientation judicieuse, puis de s'y tenir fermement.

samedi 22 novembre 2014

Les institutions et nous


Nous sommes tous victimes d'une illusion d'optique quand nous regardons une institution (une entreprise, un ministère, un « système » comme le système éducatif ou le système de santé, l’État, etc.) : son existence nous semble si évidente, si massive, que nous ne pensons pas qu'elle a pu être créée, « instituée », qu'elle aurait pu ne pas exister, qu'il se peut qu'elle cesse un jour d'exister.

Tandis que la permanence, l'éternité que nous lui attribuons nient son histoire et sa fragilité, nous percevons moins les services qu'elle rend que les défauts qu'elle présente : l'arrogance prétentieuse des dirigeants, le carriérisme hypocrite des cadres, le formalisme de l'organisation.

Les institutions nous irritent d'autant plus que rien, dans notre formation, ne nous a préparés à comprendre ce qu'elles sont, à percevoir leur utilité. La scolarité, les examens et les concours nous ont formés à l'individualisme, ainsi d'ailleurs que la littérature : rares sont, parmi les écrivains et les cinéastes, ceux qui ont mis en scène la vie d'une institution, sa naissance, sa mort et les épisodes dramatiques de son existence.

Comme elles sont exclues de notre imaginaire, de la façon dont nous concevons notre destin, elles nous exaspèrent. Pour les comprendre, pour savoir à quoi elles servent, il faut être sorti de l'adolescence, avoir mûri, avoir aussi médité l'histoire : et on sait que dans notre société l'adolescence se prolonge, parfois, jusqu'à la fin de la vie.

jeudi 13 novembre 2014

Le plein emploi dans l'iconomie

Lorsque nous disons que l'iconomie connaîtra le plein emploi, on nous enjoint de le « démontrer ». Cette injonction révèle une incompréhension de ce que sont l'iconomie et l'« emploi ».

L'iconomie n'est ni une prévision, ni une certitude. C'est le modèle d'une économie et d'une société informatisées qui seraient par hypothèse parvenues à l'efficacité.

Rien ne garantit que l'évolution nous y conduira effectivement : contrairement à ce que postulent nombre d'économistes, l'histoire montre que l'efficacité n'est pas un attracteur vers lequel les sociétés tendraient irrésistiblement.

L'économie informatisée actuelle est inefficace puisqu'elle connaît un chômage de masse qui stérilise une part importante de la force de travail. Il se peut que l'évolution se poursuive sur la piste ainsi amorcée : la crise serait alors durable et l'économie resterait engluée dans un « déséquilibre », comme disent les économistes (dans leur vocabulaire « équilibre » est synonyme d'« efficacité »).

C'est le risque de cette inefficacité durable qui nous a incité à explorer un monde, celui de l'iconomie qui, étant par hypothèse efficace, implique le le plein emploi. Mais ce raisonnement, nous dit-on, ne convainc pas parce qu'il est théorique. On veut « sentir » les choses et la logique pure n'y suffit pas. Nous devons donc aller plus loin.

samedi 8 novembre 2014

Pour une philosophie de l'informatisation

« La culture s'est constituée en système de défense contre les techniques ; or cette défense se présente comme une défense de l'homme, supposant que les objets techniques ne contiennent pas de réalité humaine. Nous voudrions montrer que la culture ignore dans la réalité technique une réalité humaine, et que, pour jouer son rôle complet, la culture doit incorporer les êtres techniques sous forme de connaissance et de sens des valeurs »
(Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, p, 9).


*     *

L'informatique, science et technique de la conception et de la programmation des automates, a provoqué un phénomène historique, l'informatisation, qui confronte les intentions et les actions humaines à de nouvelles possibilités et de nouveaux dangers.

L'informatisation s'inscrit dans la vie des institutions1 avec leurs « systèmes d'information », ainsi que dans la vie quotidienne de chacun avec le Web, le téléphone « intelligent », les réseaux sociaux, etc.

La nature est transformée : l'Internet et l'informatisation de la logistique effacent nombre des effets de la distance, l'impression 3D franchit l'écran qui sépare les choses de leur représentation, l'Internet des objets enrichit les relations entre les choses, entre les choses et les automates, entre les choses et les personnes.

L'informatique semble ainsi accomplir la promesse de la magie, « commander aux choses par la parole » : des programmes qui commencent par « {public static void main (string args[ ]){ » supplantent efficacement « Abracadabra » et « Sésame, ouvre toi ».

Un défi est ainsi adressé aux philosophes2 : embrasser l'ensemble de ces phénomènes pour nous permettre de penser leurs conditions de possibilité et leurs conséquences ultimes.

L'enjeu est historique autant qu'intellectuel car l'informatisation place la société au carrefour de deux évolutions : l'une, dans laquelle elle s'est engagée, est celle de la consommation aveugle, de la crise des institutions, du clivage entre riches et pauvres, du déploiement de la violence.

L'autre est celle qui, tirant parti des possibilités et maîtrisant les dangers qui les accompagnent, conduirait à une société de classe moyenne où le système éducatif formerait des compétences, où le plein emploi serait assuré, où les rapports entre personnes s'appuieraient sur la considération, où la consommation serait exigeante en qualité et sobre en volume.

Après une révolution industrielle la société, désorientée, ne fait l'effort de comprendre la nouvelle nature qu'après un épisode de destruction. La responsabilité de ceux qui savent penser est aujourd'hui de faire en sorte que cet épisode soit aussi bref que possible.

vendredi 7 novembre 2014

Pour François Hollande

J'ai trouvé François Hollande convaincant hier soir et beaucoup plus sympathique que ses prédécesseurs. Que l'on se rappelle donc l'énergie factice de Sarkozy, Chirac et sa façon de répondre à côté de la question, la prétention « culturelle » de Mitterrand, Giscard et son cerveau « supérieur » et sentencieux, Pompidou et sa « modernité »... De Gaulle reste bien sûr hors concours.

Après l'émission de TF1 les politiques ont exprimé la position de leur parti : la « gauche » (sauf les extrémistes) a trouvé Hollande bon, la « droite » l'a trouvé mauvais. Ces opinions préfabriquées n'ont aucune signification.

Mais qu'elle soit « de droite » ou « de gauche » la presse unanime a tiré sur Hollande. Le Monde estime qu'il a été « aux antipodes du mélange d'autorité et de souveraineté que les Français attendent du chef de l’État » (sic) et « trop attentiste pour être convaincant ». Libération a jugé l'émission « plombante sur la forme, guère emballante sur le fond » et estime que Hollande a raconté « quelques bobards ». Le Figaro, cela ne surprend pas, titre « encore raté ! » et commente : « échec », « naufrage », etc.

Les journalistes ont-ils vu la même émission que moi ? Je crois plutôt qu'ils hurlent avec les loups : celui qui ose s'exprimer au rebours des sondages passe pour un jobard. Peu de gens ont pris ce risque sur Twitter.

J'ai toujours détesté ces situations dans lesquelles au lycée, dans l'entreprise, une meute prend plaisir à se savoir unanime en sacrifiant un bouc émissaire.

Hollande a pourtant raison de soutenir les entreprises : ceux qui le lui reprochent semblent croire que les emplois et le bien-être matériel peuvent sortir du sol comme l'herbe au printemps. Soutenir les entreprises, c'est d'ailleurs soutenir les entrepreneurs et non le patronat.

Il a eu raison de rappeler la nécessité des institutions à la dame chef d'entreprise qui croit que la décision politique puisse sortir du sol.

Il a raison de juger prioritaire la lutte contre le réchauffement climatique, de reconnaître l'importance du « numérique » (même si je préfère dire « l'informatisation »). Il s'exagère l'apport économique des énergies renouvelables mais il n'est pas le seul : Rifkin est à la mode.

Personne ne lui a demandé ce que l’État peut faire pour contenir les rémunérations prédatrices, l'abus de biens sociaux, la fraude fiscale, le blanchiment... on ne peut pas lui reprocher de ne pas en avoir parlé.

Il a été aimable et correct avec les personnes que l'on avait mises en face de lui, il s'est prêté à l'exercice en direct et sans filet. Il a répondu aux questions, il n'a pas esquivé les difficultés de l'heure, il n'a pas joué à l'« énergique » ni à l'homme supérieur.

Il m'a paru sérieux, responsable. Ce président fait de son mieux dans une situation difficile. Il respecte la France, il nous respecte, il nous fait honneur devant les autres pays.

Que demander de plus ? Que notre président soit un génie, un faiseur de miracles, un prestidigitateur capable de créer le lapin qu'il sort du chapeau ? Un souverain à qui l'onction du sacre aurait conféré l'omniscience ?

Il a des limites ? Sans doute, car c'est le lot de tout être humain. Il ne faut pas demander à un président d'être Superman.

A quoi nous sert donc de prendre Hollande pour bouc émissaire, sinon à soulager notre peur collective, notre incapacité à assumer notre personnalité historique, notre République, dans le monde que fait émerger l'informatisation ?

mercredi 5 novembre 2014

La démocratie se paralyse

Les dernières élections américaines ont donné la majorité au parti républicain, dont le programme se réduit à combattre Barack Obama (cf. l'éditorial du New York Times, Negativity Wins the Senate).

Ce parti veut revenir sur la limitation du droit à détenir une arme, la réforme du système de santé, la régulation des banques, la lutte contre le changement climatique, la réforme de l'immigration, les investissements dans le système éducatif. Pour relancer l'économie, ses propositions se limitent à construire un pipe-line avec le Canada, réduire encore les impôts sur les plus riches et crier contre « Obamacare ».

Ainsi la démocratie américaine s'enfonce, séduite par des slogans populistes. Qu'en est-il en France ?

Quelle que soit la qualité éventuellement discutable des projets, ils rencontrent tous une opposition musclée : l'opinion, majoritairement individualiste, déteste les institutions. Elle n'autorise au gouvernement que deux activités qui éveillent l'émotion : les commémorations, l'hommage aux victimes. Elles sont peu fatigantes.

Personne ne voit que l'informatisation a transformé les ressources et les dangers que présente la nature, et donc transformé l'économie : ceux qui détestent l'Entreprise ignorent les systèmes d'information et ne veulent percevoir que les usages individuels du « numérique » : Web, réseaux sociaux, etc.

Cependant les abus de biens sociaux et la fraude fiscale se poursuivent, le crime organisé et la corruption prospèrent grâce au blanchiment, la Banque exerce une prédation sur le système productif, les dirigeants s'attribuent des fortunes sous le prétexte de « rémunération » et de « retraite ».

Tandis que la démocratie se paralyse, un régime féodal s'instaure. Lorsqu'il sera solidement installé nous ferons comme le corbeau honteux et confus de la fable : nous jurerons, mais un peu tard, qu'on ne nous y prendra plus.