dimanche 24 février 2013

La troisième guerre mondiale est en cours


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Dans sa conférence du 10 octobre 2011 à l'IHEDN, qui n'a pas pris une ride, Jean-Michel Quatrepoint décrit la stratégie mercantiliste de la Chine et de l'Allemagne. Cette stratégie a pour but d'accumuler une réserve de change en développant l'exportation à marche forcée, et elle a pour effet d'étouffer les autres économies. A cette stratégie offensive et, peut-on dire, pacifiquement guerrière, répond une absence de stratégie de la part des autres pays.

Quatrepoint dit que cette situation porte en germe une troisième guerre mondiale et qu'il faut tout faire pour l'éviter. Ne doit-on pas plutôt dire que la troisième guerre mondiale est déjà en cours ? Il ne s'agit certes pas d'une attaque avec des chars et des avions, mais le système productif des nations visées est progressivement détruit, leur force de travail condamnée au chômage, leurs meilleures entreprises achetées et prises en main, leur capacité intellectuelle stérilisée. Cela se fait avec la complicité d'une cinquième colonne financière et multinationale qui, à défaut de stratégie, applique une tactique rémunératrice à court terme mais destructrice à long terme.

La commission européenne et de l'OMC croient qu'il suffit, pour que tout soit au mieux, de pratiquer le libre échange dans un contexte de concurrence parfaite. Il convient au contraire de conquérir sur des niches du marché mondial une position de monopole temporaire que l'on protégera par le secret, puis que l'on renouvellera par une innovation continue. Une telle réorientation de la stratégie suppose une volonté ferme et persévérante s'appuyant sur une analyse lucide de la situation.

samedi 23 février 2013

France : les signaux du sursaut


Faut-il ou non parler d'iconomie entrepreneuriale ? Non, disent certains, car le mot entrepreneur est entouré de connotations négatives : l'entrepreneur, c'est "le patron qui s'en met plein les poches", "le dirigeant capteur de stock-options", "le prédateur"...

Vincent Lorphelin constate dans la France d'aujourd'hui l'émergence d'une classe nouvelle d'entrepreneurs animés par une passion brûlante : ce sont des innovateurs, des créateurs. Il leur donne la parole dans l'ouvrage collectif qu'il a dirigé, Le rebond économique de la France.

C'est précisément parce que les vrais entrepreneurs sont rares parmi les dirigeants (j'estime leur proportion à 10 %) qu'il faut soigneusement les distinguer des prédateurs et autres parasites, avec lesquels ils sont d'ailleurs en conflit. Tant que nous les confondrons avec eux, nous serons incapables de promouvoir et défendre les entreprises dont notre pays a besoin.

L'entrepreneur véritable est, comme le dit Lorphelin, porteur d'une passion brûlante : explorer, créer, organiser, bref agir. Il a partie liée avec les animateurs, ces salariés qui partagent avec lui la passion de l'action efficace, de la belle ouvrage, du produit de qualité et de la satisfaction du client. Les animateurs sont dans l'entreprise aussi rares que les entrepreneurs dans la société mais c'est eux qui donnent son âme à l'entreprise, sa raison d'être.

Les entrepreneurs, les animateurs, n'ont pas besoin d'être dorlotés ni encouragés : ils rayonnent. Mais il ne faut pas leur mettre trop de bâtons dans les roues. Une société ne peut parvenir au bien-être matériel que si elle est une pépinière d'entrepreneurs et d'animateurs : c'est un défi pour les systèmes éducatif, législatif et judiciaire.

vendredi 15 février 2013

Alain Desrosières

Je viens d'apprendre le décès d'Alain Desrosières. C'était un ami très cher.

Nous étions de la promotion 60 de l'X où j'ai fait sa connaissance. Il était "de gauche" et argumentait avec passion, secouant le garçon "de droite" que j'étais alors par un bouton de sa veste.

Nous avons fait l'ENSAE ensemble, nous avons été ensemble administrateurs de l'INSEE. Beaucoup de nos camarades ont cédé aux délices de l'ambition, pas lui. Il s'intéressait sincèrement à la statistique, à la sociologie, à l'histoire. Il est donc sorti de la tour de Malakoff pour tisser des liens avec d'autres corporations. Il m'a ainsi conduit chez Pierre Bourdieu ainsi que dans les bureaux du Nouvel Observateur où nous avons rencontré Claude Perdriel, Jean Daniel et André Gorz : il s'agissait alors d'apporter aux analyses sociologiques, fût-ce au prix de quelque pédantisme, le renfort et la caution de la technique statistique.

Desrosières était d'une générosité littéralement adorable. Vous aviez une conversation avec lui : "Ah, disait-il, mais alors il faut que je te mette en relation avec Untel", ou bien "il faut que tu lises tel article" - et quelques instants après un rendez-vous était organisé, une photocopie de l'article vous parvenait. Ce que beaucoup de personnes lui doivent est immense. Il était au sens exact du terme un animateur, quelqu'un qui donne une âme à une institution, et les passerelles qu'il établissait inlassablement, ainsi que ses livres, ont apporté à l'INSEE une ventilation salubre.

De cette générosité, de cette animation, de cette ouverture, l'INSEE ne lui a comme de juste su aucun gré. Alors qu'il avait fait pour la statistique bien plus que n'importe quel inspecteur général il est parti à la retraite simple administrateur. Indigné, je lui en ai fait la remarque et il m'a regardé avec étonnement. Ces histoires de carrière lui étaient parfaitement indifférentes.

Comme beaucoup d'hommes droits, il était naïf : c'est le défaut des anges. Sa droiture a parfois fait de lui la dupe de personnes dont il ne pouvait pas même entrevoir la perversité.

On croira peut-être que je sacrifie ici à la règle qui veut qu'un discours posthume soit excessivement élogieux. Il n'en est rien. Ce que je viens d'écrire, je le pense depuis longtemps et l'ai souvent dit de son vivant.

Je termine ce petit texte les larmes aux yeux et la gorge serrée : adieu, camarade généreux ! Tu seras toujours présent dans le cœur de ceux qui t'ont connu.

TO THE HAPPY FEW

Il faut que tu apprennes à co-mu-ni-quer, dit un ami journaliste. Il faudrait que tu sois plus convaincant, dit une amie. Il faut que, il faudrait que...

J'observe ceux qui savent paraît-il « communiquer » et qu'entends-je ? De l'emphase et de la confusion. Pour procurer à celui qui écoute une agréable sensation de bien-être il leur suffit en effet de jouer sur les connotations qui entourent leur propos d'un halo familier. L'auditeur sent alors ses préjugés fondre comme s'il était plongé dans un bain tiède. Il est prêt à se laisser convaincre, mais de quoi ? Une fois sorti du bain, il aura tôt fait de tout oublier.

mercredi 13 février 2013

Entretien avec L'Express

(Entretien avec Bruno Abescat, rédacteur en chef du service Économie, et Benjamin Masse-Stamberger, grand reporter à L'Express, publié dans le numéro du 20 février 2013 ).

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En 1953, la France comptait moins de 200 000 chômeurs, 1 % des ménages Français possédaient un téléviseur, un sur cinq une automobile, près de 30 % de la population travaillaient la terre… Parle-t-on encore du même pays ?

Oui, la France a changé en quelques décennies. On imagine mal aujourd’hui ce qu’était la vie dans un pays où le téléphone était rare et l’ordinateur inexistant, où nombre de logements demeuraient insalubres, où l’on utilisait la lessiveuse pour laver le linge.

Que s’est-il passé ?

Il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour comprendre ces bouleversements. Le pays ayant été largement détruit, les Français ont d’abord voulu retrouver le niveau de vie d’avant-guerre. Cet objectif, qui semblait inaccessible, a été atteint dès 1948. Ils se sont alors donné pour but de rattraper le niveau de vie américain dont le cinéma montrait une image flatteuse. Les ventes d’automobiles, réfrigérateurs, téléviseurs et lave-linge ont explosé. Dès 1963, Carrefour a ouvert le premier hypermarché à Sainte-Geneviève-des-Bois, puis les grandes surfaces se sont multipliées.

Le Club Med a vu le jour aussi en 1950, la Fnac en 1954 et, l’année suivante, Renault a accordé la troisième semaine de congés payés…

L’essor des loisirs et du tourisme a en effet été un des marqueurs de cette époque, mais la principale rupture a été apportée par l’automobile. Il n’y a qu’à voir, pour s’en convaincre, la croissance du nombre annuel des morts sur la route : il culmine à 16 000 au début des années 1970. Il faudra attendre les années 1980, avec le lancement du TGV et la baisse du prix des voyages en avion, pour que les modes de transport rapides soient mis à la portée de tous.