dimanche 19 mai 2013

Rapport de l'académie des sciences sur l'enseignement de l'informatique

On trouvera ce rapport à l'adresse suivante : http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf.

Ce rapport est intéressant et utile mais il ignore l'iconomie : alors que l'informatisation transforme l'ensemble du système productif et des institutions, il se limite à la science informatique et ne considère ni les dimensions sémantique et procédurale de sa mise en oeuvre dans l'action, ni la délicate articulation du cerveau humain et de l'automate. L'expression "système d'information" est absente, ainsi que le mot "informatisation", et ces absences ne sont pas fortuites : elles sont délibérées.

En effet les académiciens n'ont pas voulu tenir compte de la critique que Maurice Nivat et moi leur avons adressée lors d'une audition à l'INRIA. Ils semblent enclins à cultiver une "science pure" de l'informatique semblable aux "mathématiques pures", et aussi méprisante envers les "applications" qu'elles ne le sont dès lors que ces applications sortent du domaine de l'automatisme et de l'algorithmique. Ils confondent incidemment "information" et "données", ce qui est sans doute conforme à l'usage des techniciens mais révèle chez des académiciens un étonnant manque de réflexion.

Il faut pourtant souhaiter que ce rapport soit entendu car l'enseignement de l'art de la programmation, la maîtrise des algorithmes, sont conditions nécessaires de l'informatisation même si elles ne sont pas suffisantes. Le slogan "apprendre à lire, écrire, compter, raisonner et programmer" est judicieux, ainsi que l'exigence d'un "bon sens informatique" chez les métiers d'une entreprise - exigence dont l'évocation aurait dû conduire à celle de la maîtrise d'ouvrage d'un système d'information.

Des risques restent cependant ouverts. Lorsque l'on confond "information" et "données", lorsque l'on n'est pas sensible au préalable sémantique de toute informatisation ni à la nécessité d'articuler les ressources du cerveau humain à celles de l'automate programmable, on ne peut être qu'un médiocre informaticien. Les bons informaticiens que je rencontre dans les entreprises sont avertis de l'importance de ces questions-là, ils savent les traiter intelligemment et elles occupent une part importante de leur temps de travail.

Il est regrettable qu'un rapport consacré à l'enseignement de l'informatique les ignore délibérément.

10 commentaires:

  1. Cher Michel,

    Tes rappels à la prise en considération de ce à quoi sert l'informatique sont pleinement justifiés. Néanmoins je ne suivrai pas tes critiques, parce que cette démarche n'est accessible qu'à des gens qui ont déjà travaillé quelques années. Cela peut faire l'objet d'une formation de type MBA pour des gens qui ont une trentaine d'années ou plus. Pour des lycéens, ce serait incompréhensible et mortellement ennuyeux. Chaque chose en son temps !

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  2. Cher Michel,
    je ne comprends pas tes critiques, qui me semblent porter sur des questions qui, au contraire, sont traitées dans le rapport.
    Pour ma part, je me réjouis que l'Académie ait pondu ce document, qui permettra, il faut l'espérer, d'obtenir que le système d'éducation secoue son inertie et évolue dans le bon sens.
    Devant un enjeu de cette importance, mieux vaut ne pas ratiociner, si je peux me permettre TG

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  3. A une récente réunion d'un think tank patronale, réunion portant sur l'innovation, des participants disent : "c'est connu mais il faut le répéter, nous manquons d'informaticiens en France".

    "Oui", enchaînent des autres, "il faut encourager les jeunes à choisir les mathématiques !".

    Je me suis permis de souligner lourdement (aussi mathématicien que je sois) que les deux ont peu à voir… "Un informaticien est un bricoleur" : le talent informatique se trouve dans l'action, bien plus près de la communication ou à la rigueur des sciences les plus expérimentales, que de la hauteur théorique des mathématiciens.

    Il y a sûrement besoin de matheux parmi les informaticiens, mais restreindre l'informatique à ceux qui seront *à la fois* matheux et informaticiens, c'est condamner le pays à en manquer gravement.

    Je tiens à l'idée, pour avoir vu recruter récemment un jeune directeur informatique, bourré de talent me semble-t-il, ultrarapide, à la vaste culture dans son domaine — et bachelier +0.

    Je répète la même idée, le jour même, à un ami qui travaille dans le secteur du recrutement. Il s'indigne. L'informatique, un bricolage ! Puis s'interrompt. Son fils, me dit-il, est en formation de "maths et informatique". Il a 5 en maths, 15 en informatique, et ses professeurs lui ont proposé d'appuyer sa demande pour changer de filière et passer en informatique pure.

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    1. « "Un informaticien est un bricoleur" : le talent informatique se trouve dans l'action, bien plus près de la communication ou à la rigueur des sciences les plus expérimentales, que de la hauteur théorique des mathématiciens. » : je vais essayer de rester calme et courtois ; si cette vision de l'informatique n'était qu'insultante ce ne serait qu'un moindre mal, mais en outre elle mène à des erreurs graves. Lorsque j'étais directeur du laboratoire d'informatique d'un grand établissement d'enseignement professionnel supérieur, le président du département (un mathématicien) pensait que plus un informaticien était stupide, mieux il correspondait au profil informatique attendu.

      Il est exact qu'il y a en informatique bien des moyens de réussir sans être mathématicien, mais les mathématiciens n'ont le monopole ni de la théorie, ni des concepts, ni de la rigueur intellectuelle.

      L'informatique est une science de plein exercice, il conviendrait de commencer à en prendre conscience, elle repose sur quatre concepts fondamentaux : langage, machine, information, algorithme. Ces concepts sont appelés à faire l'objet de raisonnements rigoureux, de formalisations, de calculs (plus logiques que mathématiques). Passer de "maths et informatique" à "informatique pure" n'est en aucun cas abandonner le monde des concepts pour celui du bricolage, c'est changer d'univers conceptuel et de méthode scientifique.

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    2. @ Laurent Bloch : je suis tout à fait d'accord avec vous. Il n'empêche ;-)

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    3. @ Laurent Bloch : à la réflexion : je crains que votre appréciation se fonde sur un sens péjoratif (effectivement répandu) du mot "bricoleur". Et je précise tout de suite que mon collègue bac+0 ne manque ni de capacité à conceptualiser (même s'il l'exprime peu), ni d'ambition de validité durable de ce qu'il produit, ni de rigueur intellectuelle — il répudie, en informatique, le "bricolage" au sens de "rustines et improvisation". Mais il le pratique au sens de : regarder un problème sous l'angle de la façon dont on le résoudra ; accepter qu'il y ait des loupés dans le résultat et reprendre infatigablement le travail pour les éliminer ; partager volontiers son expérience et son tour de main ;

      Dans ma banlieue ouvrière, le bon bricoleur reçoit l'admiration qui, ailleurs, ira au savant, au grand voyageur ou au héros de guerre. Notre basilique est aussi vide que la MJC, Leroy et Casto sont les temples de la religion en vogue. D'ailleurs, si le mot "bricolage" s'est imposé, c'est parce que le vocable antérieur était trop long — quand le do-it-yourself est arrivé en France, on a commencé par traduire par : "le faites-le-vous-même".

      C'est précisément pour cela que l'informatique me semble devoir être, avec l'écologie, le français et l'anglais, la matière de base de l'enseignement dans le monde actuel. Parce qu'elle met en situation d'agir, et d'agir avec force, avec la démultiplication que permettent les bibliothèques de data, les automatismes industriels, la vitesse des calculs. Elle transforme un enseignement fondé sur un savoir figé et sur l'écrémage de ceux qui n'arrivent pas à l'absorber, en éducation construite sur l'action et sur la réussite.

      Je suis bien d'accord avec vous, l'informatique est une science, parente mais indépendante des mathématiques (et de la logique, et un peu de la psychologie cognitive ou des sciences sociales). Elle m'a fasciné, comme étudiant, autant que l'algèbre ou la topologie (alors que la géométrie m'est étrangère et l'analyse me donne de l'urticaire). C'est une science comme aussi le sport, la psychologie, la perception des couleurs, la stabilisation des pays après conflits armés, sont des sciences — ou au moins des sujets permettant une capitalisation de connaissance, une théorisation, un enseignement et une recherche.

      Mais l'informatique est aussi un "art" au sens de l'art de l'ingénieur — ou de l'artiste : c'est une façon d'agir. C'est, à mon avis, en tant qu'art (plus encore qu'en tant que science), que l'informatique devrait être pratiquée par la totalité des élèves dès le primaire. Ce qui en rendra un bon nombre, j'en suis sûr, réceptifs à cette science !

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  4. A Frédéric LN
    " A une récente réunion d'un think tank patronale, réunion portant sur l'innovation, des participants disent : "c'est connu mais il faut le répéter, nous manquons d'informaticiens en France".
    "Oui", enchaînent des autres, "il faut encourager les jeunes à choisir les mathématiques !"."

    Quel est le nom de ce "think tank" ? Il serait bon de lui rappeler qu'avec 30 000 ingénieurs et 25 000 masters scientifiques par an, la France a le taux de production de diplômés scientifiques bac+5 le plus élevé du monde. Si beaucoup de ces diplômés ne veulent pas travailler dans l'informatique, c'est parce qu'ils pensent (souvent à juste titre) que ces métiers conduisent à des culs-de-sac professionnels.

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  5. @ François : merci pour l'info, je m'en resservirai.

    Par ailleurs, sur le lien ou la différence entre informatique et mathématique, une discussion de café du commerce mais assez dense ici http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2013/05/23/opportunites-des-centaines-dautistes-recrutes-pour-leurs-talents/

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  6. Oui Michel.

    Au même titre que nous avons une distinction entre les mathématiques pures et les mathématiques appliquées, la science de l'informatique et du numérique doit couvrir les 2 aspects. Les données sont indissociables du système. Et les 3 âges de l'informatique (matériel, logiciel avec l'algorithmique, données) sont complémentaires dans le cadre d'une approche globale même si la valeur ajoutée réside désormais dans les données et leur traitement (big data, etc.).

    Ce rapport a le mérite d'exister et permet le débat.

    Bien cordialement,

    DF

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