dimanche 9 décembre 2012

Jérôme Cazes, 555, jeudi rouge, Editions du Parc, 2011

Jérôme Cazes est un banquier qui a quitté la banque : il la connaît, il l'a jugée.

555 vous fera pénétrer la psychologie des financiers. Leurs valeurs se résument en deux expressions : « produire de l'argent » et « pas vu, pas pris ».

Certains, parmi les économistes, pensent que le seul but de l'entrepreneur est de faire du profit : il n'y aurait donc rien à redire aux valeurs de la finance.

Mais l'argent n'est pas un produit : c'est un moyen. Le profit permet à l'entrepreneur véritable d'investir pour concevoir de meilleurs produits et améliorer l'efficacité de la production.

Pour « produire de l'argent », par contre, la méthode la plus facile consiste non à produire efficacement des choses utiles - cela demanderait un effort pénible et coûteux - mais à s'emparer d'un patrimoine mal protégé pour le revendre après l'avoir éventuellement découpé en petits morceaux. On peut aussi installer un péage et prélever une part d'un flux de revenu. L'une comme l'autre de ces méthodes relèvent de la prédation.


Ces méthodes sont-elles légales, sont-elles morales ? La dérégulation a levé la plupart des limites que la loi imposait à la prédation, et par ailleurs les obligations morales disparaissent lorsque l'on s'est donné pour but la production d'argent : Adam Smith n'a-t-il pas dit que la poursuite de l'intérêt personnel permettait, mieux que toute autre démarche, d'atteindre le bien collectif ?

Les contraintes légales qui subsistent doivent donc être considérées comme des obstacles à contourner, la seule obligation étant d'être assez habile pour ne pas se faire prendre : d'où la règle « pas vu, pas pris ».

Dès lors la production d'argent, devenue mécanique et impersonnelle, va au bout de sa logique. Le raisonnement du financier est d'une pureté abstraite : si ses techniques sont parfois compliquées, le monde auquel elles s'appliquent a été radicalement simplifié. Des personnes, des institutions, la substance économique elle-même sont ainsi avalées, digérées puis détruites, sans méchanceté ni agressivité, par une machine qui les ignore.

12 commentaires:

  1. J'ajouterais un troisième volet à la psychologie des banquiers de marché : créer de la volatilité. Et c'est probablement celui-là qui nous coûte le plus cher !
    (le livre 555 jeudi rouge est aussi gratuitement téléchargeable sur www.555-jeudirouge.fr
    Jérome Cazes

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  2. Bonsoir,

    Est-il exact de qualifier Jérôme Cazes de banquier, et ainsi d'annoncer au lecteur qu'il est un "insider" ayant vécu au coeur même de la machine diabolique et ayant donc acquis une légitimité pour pouvoir en parler de façon précise ?
    Je suis peut-être pointilleux mais je trouve que cette approximation enlève de la force à votre billet, et qu'au passage, cela semble indiquer que vous mettez banquiers et assureurs dans un même sac.
    Certes Jérôme Cazes a principalement exercé ses fonctions au sein de l'entreprise Natixis (et a même fait partie de son comité de direction générale pendant deux ans apparemment) appartenant au groupe BPCE mais via sa filiale Coface, qui est moins une banque qu'une société d'assurances (non traditionnelles) puisque son coeur de métier est l'assurance-crédit.

    Bref, Jérôme Cazes est-il la personne la plus compétente pour dénoncer de l'intérieur les vicissitudes des grandes banques françaises ? Je l'ignore.

    Bien à vous,

    Olivier Givaudan

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    1. J'estime que Cazes est compétent pour parler des vicissitudes actuelles de la Banque précisément parce qu'étant un assureur il a pu confronter la culture de l'assurance, focalisée sur l'évaluation du risque, aux décisions stratégiques dont il a été le témoin pendant les deux années où il a participé au comité de direction d'une grande banque.

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  3. Je maintiens donc ma première remarque: Jérôme Cazes n'est pas un banquier. Je ne suis pas sûr que deux ans passés à ce poste de très (trop ?) haut niveau lui ai permis de comprendre en profondeur le métier de banquier; mais je reconnais qu'il a sûrement eu le temps d'en détecter les errements.

    Vous avez bien compris qu'il s'agissait davantage d'un reproche de forme que de fond. Si le ton de mon premier message était quelque peu agressif (je vous présente mes excuses si j'ai pu vous blesser, ça n'était pas mon intention; mais je tiens à préciser aussi que je ne suis pas banquier), c'est parce que j'ai senti une attaque trop facile (mais sûrement utile), introduite par une phrase au ton par trop martial ("Jérôme Cazes est un banquier qui a quitté la banque : il la connaît, il l'a jugée."), envers un domaine sur lequel on tire à boulets rouges depuis la crise de 2007-2008 (encore une fois, à raison à mon sens), à commencer dans les médias, et par suite, dans l'opinion publique. Alors que, pardonnez-moi cette niaiserie, on aura toujours besoin des banques.

    La critique envers la production de l'argent m'est parue également trop facile (même si je comprends la suite de votre idée et que je suis entièrement d'accord): "Pour « produire de l'argent », par contre, la méthode la plus facile consiste non à produire efficacement des choses utiles - cela demanderait un effort pénible et coûteux -". Remettez-vous alors en cause la notion même de taux d'intérêt, de l'idée de capitalisation ? Le banquier ne produira jamais "efficacement des choses utiles" mais, plus modestement, il aidera à le faire, il sélectionnera les individus les plus aptes à le faire, il prêtera aux plus capables pour le bien de tous. C'est lui qui dirigera les fleuves monétaires vers les terres les plus fertiles. Je ne vois dans ce tableau un brin idyllique rien de néfaste. Ce service de sélection des risques doit être rémunéré à sa juste valeur (vaste question !).

    Mais je m'interroge sur le caractère des individus attirés par ce domaine: sont-ils condamnés à être tous des requins, ou pour être plus précis, des vautours ? Ma vision est probablement simpliste mais peut-être pas si fausse. Dans ce cas, je suis bien d'accord avec vous, la dérégulation de ce secteur-clé a été une énorme bourde. Probablement que la lecture de votre ouvrage sur la prédation m'apporterait des éléments intéressants.

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    1. Le banquier qui "prête aux plus capables pour le bien de tous" produit bien une "chose utile" : le service que constitue ce prêt. Je crois, comme vous, que l'on aura toujours besoin des banques qui produisent un tel service.
      Les individus que la Banque attire ne sont pas tous condamnés à être des requins, mais elle les éjectera si leur éthique est forte : aujourd'hui les mauvais professionnels chassent les bons.

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    2. J'ai commencé à lire votre ouvrage sur la prédation et à prendre conscience du même coup de ma naïveté dans ce domaine (mais je suis jeune).
      Il s'agirait donc d'un problème de pouvoir: les mauvais professionnels auraient trop de pouvoir soit parce qu'ils sont (devenus) trop nombreux soit parce que les personnes qui en détiennent plus leur en accordent (ou leur en ont accordé) trop. Que faire ? Pour guérir, rendre la supervision plus sévère au risque de sophistiquer la prédation ? Simultanément, pour prévenir, introduire des cours d'éthique dans les filières scolaires menant aux métiers de la finance ? La tâche semble colossale.

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    3. Les économistes disent "la mauvaise monnaie chasse la bonne" : la monnaie douteuse est remise en circulation, la monnaie de qualité est thésaurisée.
      De même dans une foule affolée celui qui ne suit pas le mouvement est piétiné ou éjecté. Dans la Banque personne (et surtout pas les dirigeants) ne peut plus maîtriser l'empilage des algorithmes. Ceux qui s'efforcent de comprendre sont alors désavantagés par rapport à ceux qui se contentent de surfer sur la vague.

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  4. J'arrête de tourner autour du pot: ce que je critiquais via votre billet c'était Jérôme Cazes lui-même. J'ai l'impression que c'est un "repenti" qui a en son temps profité du système qu'il dénonce aujourd'hui. Je ne trouve pas cette démarche très honnête. Mais elle est peut-être utile.
    J'avoue être assez d'accord avec ses déclarations actuelles (par exemple dans le prologue de http://www.les-crises.fr/documents/2012/1-scinder-les-banques-verbatim-diacrisis.pdf).

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    1. Je ne sais pas si Jérôme Cazes a péché autrefois, mais si c'est le cas un repentir sincère efface toutes ses fautes.

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    2. J'avoue n'avoir que des soupçons en ayant lu quelques articles çà et là. Mais je n'ai pas plus approfondi.

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  5. Bonjour et Joyeux Noël
    Votre discussion avec Olivier Givaudan montre que l'apparente différence entre les métiers de la finance et ceux de l'industrie repose sur l'insertion des uns et des autres dans l'environnement. On pourrait dire que si l'industrie est difficile c'est qu'elle accroche son evironnement tandis que les métiers de la finance tentent de "glisser sans contact". A partir de là on peut en déduire ts les comportements que l'on voit et tous les jugements moraux que l'on peut établir.

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  6. Bonjour,

    Pour avoir été aussi à l'intérieur de la banque et pour lutter actuellement pour la quitter (on ne peut changer de banque, quoique disent nos politiques), je suis particulièrement d'accord avec la description du "système de prédation" mis en avant dans votre post et apparemment dans le livre de M. Cazes.

    Sans parler de la Coface (désormais Coface-Hermès), qui fait surtout la pluie et un peu le beau temps sur les petites entreprises industrielles, la banque agit en privilégiant ses intérêts qui s'alignent de plus en plus avec ceux des entreprises "classiques" capitalistiques (sans a priori négatif sur ce terme).
    Or, force est de constater qu'en plus de cela elles disposent d'un filet de sécurité prêt à les recapitaliser, ce qui à mon sens est une grave erreur compte tenu que les entreprises n'ont pas cette faveur.

    Cela fausse complètement les règles du jeu capitaliste (l'aléa moral) : du capital qui pourrait être productif est injecté dans ce système prédateur (je dirais plutôt "parasitaire") puisque les investisseurs sont quasi protégés de la faillite.

    La recherche du profit et de la rentabilité devraient être limités pour les établissements financiers à leurs missions premières.
    Actuellement, le banques ne gagnent des sous que par la multitude de services inutiles et la multitude de frais qui même perçus à tord sont quasi impossibles (dans la pratique) à recouvrer par la partie lésée (en admettant qu'elle représente un client atomisé).
    Le crédit ne leur rapporte pas assez par rapport à la rentabilité espérée. Ceci est d'autant plus surprenant que cela se passe même dans les établissements de type mutualiste/sociétaire/caisse locale, plus ou moins sensés être détachés de cette course aux profits.

    Plus près de nos porte-monnaies et de mon cas personnel : 2€ (forfait internet au Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes) x 600000 clients = 1,2 millions d'€ sans rien faire. Ajoutez à cela quelques "coups" (le fameux Dossier Familial), le développement de Square Habitat, et autres services annexes à la banque (Kwixo, Pacifica Assurance, Télésurveillance), vous avez là ce qui permet aux banques de tourner.

    L'organisation commerciale des banques est aussi un gros problème et renforce cette dérive de "taxation" : benchmarking entre agences sur les ventes de tel ou tel produit, pertes d'autonomie du banquier (interlocuteur) sur les dossiers (la fameuse délégation) ...

    L'argent n'est plus un moyen. La prédation n'est pas réservés qu'aux salles de marché ou au secteur "banque d'investissement". Pour moi, et par rapport à ce que j'ai observé et j'observe, le secteur "banque de détail" a muté complètement vers cette prédation.

    Ce n'est pas un jugement moral pour moi. La banque est sensée aider à investir comme le dit M. Givaudan, à faire le choix économique sensé. Mais comme on le voit, avec l'aléa moral tel qu'il existe, avec la dissonance entre objectifs de la banque et objectifs de son client, la banque me perd.

    Quelle est donc la mission de la banque ? N'y a-t-il pas une urgence dans ce domaine ?

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