mardi 24 janvier 2012

Apple, la délocalisation, l'emploi

L'article de Charles Duhigg et Keith Bradsher (« How U.S. Lost Out on iPhone Work », The New York Times, 21 janvier 2012) explique pourquoi, tandis qu'Apple n'emploie directement que 43 000 personnes aux États-Unis et 20 000 dans d'autres pays, 700 000 autres travaillent principalement en Chine pour produire ses iPhones, iPads etc.

90 % des centaines de composants que contient un iPhone sont produits hors des États-Unis : les semi-conducteurs proviennent d'Allemagne et de Taïwan, les mémoires de Corée et du Japon, les écrans et le câblage de Corée et de Taïwan, les puces d'Europe, les terres rares d'Afrique et d'Asie. L'ensemble est monté en Chine.

Ce ne sont pas les bas salaires qui expliquent la préférence donnée à la Chine car produire l'iPhone aux États-Unis laisserait à Apple une marge bénéficiaire confortable : alors que chaque iPhone lui procure un profit de plusieurs centaines de dollars, le coût de production unitaire ne serait augmenté que de 65 $. Pour les entreprises des TIC le coût du travail est d'ailleurs secondaire en regard du coût des composants, de la capacité des entreprises à accroître et réduire leur taille rapidement et de la souplesse des approvisionnements.

L'explication réside dans une meilleure organisation des entreprises et une meilleure disponibilité des compétences : on trouve en Chine, contrairement aux États-Unis, beaucoup d'ingénieurs de niveau Bac + 4. Tandis qu'il aurait fallu six mois pour trouver aux États-Unis les 8 700 ingénieurs nécessaires pour encadrer les 200 000 ouvriers qui produisent les iPhones, il a suffi de quinze jours en Chine.

Ce réservoir de compétences procure aux entreprises chinoises la flexibilité qui leur permet de tenir le rythme imposé par une succession rapide d'innovations et de versions des produits. Elles sont capables de démarrer très vite, de produire en quantité selon un flux soutenu, puis de s'arrêter brusquement et de se réorganiser sans délai s'il faut lancer une autre production.

C'est cette souplesse qui permet à Foxconn Technology d'assembler à Shenzhen, pour des donneurs d'ordre comme Apple, Amazon, HP, Dell, Motorola, Nintendo, Nokia, Samsung, Sony etc., 40 % de la production mondiale des biens de consommation électroniques.

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Que reste-t-il donc aux États-Unis ?

Le logiciel de l'iPhone y a été conçu, ainsi que les innovations de sa campagne de vente. Apple a construit en Caroline du Nord un « data center » qui a coûté 500 millions de dollars, mais il n'emploie que 100 personnes à temps plein. Ses semi-conducteurs les plus complexes sont produits au Texas par une usine de Samsung, mais elle n'emploie que 2 400 ouvriers.

La conception des produits des TIC est d'ailleurs « à coût fixe » : si une fabrication passe chez Apple d'un million à trente millions d'unités, cela ne nécessite pas d'embaucher davantage de programmeurs.

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Il ne suffit pas d'embaucher des Américains pour produire aux États-Unis : il faudrait transformer l'ensemble de l'économie et même la société car les États-Unis ne forment plus en nombre suffisant les personnes ayant les compétences nécessaires : les Américains semblent avoir perdu ce goût pour l'ingénierie qui faisait naguère leur succès.

On observe cependant qu'Apple a aujourd'hui plus de salariés qu'avant aux États-Unis et que son succès a profité à l'économie en créant des emplois dans des activités de service comme les réseaux mobiles et la distribution, notamment chez FedEx et UPS.

L'article du NYT n'indique pas le nombre de ces emplois mais on comprend que pour faire le bilan d'une délocalisation il ne convient pas de se focaliser sur la seule production des biens : il faut aussi considérer les services que le produit nécessite et donc, si l'on sait bien s'y prendre, comporte.

C'est l'une des leçons que cet article suggère. En voici une autre : la clé du succès reste la maîtrise de l'ingénierie – mais alors qu'il s'agissait naguère de celle de la mécanisation, il faut maintenant maîtriser l'ingénierie de l'informatisation.

Nota Bene : on trouvera d'utiles informations sur Apple, Foxconn et la relation de sous-traitance dans Charles Duhigg et David Barboza, « In China, Human Costs Are Built Into an iPad », The New York Times, 25 janvier 2012.

10 commentaires:

  1. Est-il acceptable que le travail des chinois ressemble à de l'esclavage ?
    "(...)New screens began arriving at the plant near midnight.

    A foreman immediately roused 8,000 workers inside the company’s dormitories, according to the executive. Each employee was given a biscuit and a cup of tea, guided to a workstation and within half an hour started a 12-hour shift fitting glass screens into beveled frames.(...)"

    Je résume ces quelques phrases pour m'assurer que j'ai bien compris : "à minuit les écrans ont été reçus les écrans. 8 000 employés ont été réveillés avec une tasse de thé et un biscuit puis conduit sur la chaîne d'assemblage pour 12h de travail."

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  2. @Anonyme
    J'ai fait une recherche sur le Web pour mieux connaître Foxconn. En effet, les conditions de travail sont rudes ! Un tel rythme de travail ne peut pas être tenu indéfiniment sans dommages graves pour la santé physique et mentale du salarié.
    Lorsque l'économie chinoise aura atteint son point d'équilibre les choses seront certainement différentes.
    Pour mettre un terme à une épidémie de suicides et aux revendications, l'entreprise a décidé de s'équiper plusieurs centaines de milliers de robots. Ainsi l'automatisation gagne du terrain, même quand les salaires sont bas.

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  3. Une réponse sur le blog de Roger Pielke Jr.

    http://rogerpielkejr.blogspot.com/2012/01/apples-and-americans.html

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  4. M. Volle,

    L'article ci-dessous prétend qu'il ne s'agit pas seulement de "conditions rudes", mais de camp de concentration, avec "Work hard or get fired", littéralement, en guise de "Arbeit macht frei", en toute connaissance de cause par Apple.

    http://www.huffingtonpost.com/william-k-black/apples-ethical-blindness-_b_1244410.html

    Il suffirait donc, d'après vous, de laisser le temps au temps pour que les choses s'arrangent d'elles même? Et gare au naïf qui voudrait entraver la marche naturelle des choses, aussi "rude" soit-elle, on en mesure dèjà les encore plus terribles conséquences (les robots). Quelle sagesse... et ça va +tôt à l'encontre de votre thèse (les bas salaire ne sont pas la clé du succès).


    Que chacun se rassure: l'article fait sûrement du sensationalisme. Comment l'interpréter autrement, de toute façon?

    Révoltant.

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  5. @Anonyme
    Gardons le sens de la mesure. On est libre de juger révoltantes les conditions de travail chez Foxconn, mais il n'est pas raisonnable d'assimiler cette entreprise à un camp de concentration. Vous vous laissez emporter par vos bons sentiments.

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  6. Votre réponse est conforme à ce que je prédisais : l'article fait du sensationalisme. Je n'avais pas prévu, en revanche, que vous vous retranchiez derrière la définition stricto sensu de camp de concentration pour vous poser en arbitre du sens de la mesure:

    "to manage one million animals gives me a headache" – CEO de Foxconn

    Allons, allons, vous tombez dans le piège du sentimentalisme, c'est sûrement hors contexte! Et d'ailleurs:

    "Yes, Our CEO Called Our Employees 'Animals' But He Didn't Mean It As An Insult" —Foxconn

    http://articles.businessinsider.com/2012-01-20/tech/30645842_1_hon-hai-animal-kingdom-million-animals#ixzz1lu0ag7Vd

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  7. @Anonyme
    Assimiler Foxconn à un camp de concentration, c'est insulter implicitement les victimes de l'extermination par les nazis. Il existe en effet des degrés dans le Mal.
    Je vous propose d'arrêter là cet échange.

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  8. Bonsoir Michel,
    Intéressant article sur lequel tu fais un fort intéressant commentaire.
    Je ressens cependant une ambiguïté sur la dernière phrase. A mon sens, « maîtriser l'ingénierie de l'informatisation » peut désigner trois choses (et le lien que tu as mis renvoie à « ingénierie de l’information » ce qui est autre chose :
    - maîtriser l’ingéniérie de la production de biens informatiques (ce qui n’est pas ce que tu écris, mais on peut craindre que certains le lisent ainsi) ;
    - maîtriser l’ingéniérie de production (ici, celle de biens informatiques, mais ce pourrait être d’autres biens ou services) grâce à l’informatisation du procès dans l’entreprise ou, plutôt, dans le réseau d’entreprises assurant cette production distribuée;
    - avoir une ingéniérie globale pour conduire l’informatisation de la société, ingéniérie qui couvre non seulement la production des biens mais encore les techniques de leur diffusion et services liés.
    Il me semble que c’est plutôt cette troisième acception, plus ambitieuse, qui est dans ton article.
    amicalement

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    1. @René Padieu
      Deux remarques :
      1) "Maîtriser l'ingénierie de l'informatisation", c'est bien maîtriser l'ingénierie des "systèmes" qui assurent l'informatisation des institutions, notamment celle des entreprises.
      2) la "production" n'est achevée que lorsque le consommateur en reçoit les "effets utiles" : elle englobe donc, outre les biens, les services et techniques de diffusion.
      C'est donc bien la troisième acception qui convient. Les deux autres n'ont aucune consistance.

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  9. oui : nous sommes bien d'accord. Je me soucie toujours, même là où ce que nous disons est correct, que quelqu'un puisse l'entendre autrement...

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