lundi 30 août 2010

Eloge de l'autodidacte

Le mot « autodidacte » est le plus souvent péjoratif. S'étant formé lui-même et sans passer par les écoles, l'autodidacte, pense-t-on, n'a pas pu acquérir les méthodes qui confèrent sa rigueur à la pensée. Il va donc s'enticher de conceptions loufoques dont il fera des idées fixes...
Mais c'est oublier que ceux qui ont suivi une filière que sanctionne un diplôme ont parfois eux aussi des défauts : conformisme, manque de courage intellectuel et d'imagination... et il leur arrive d'avoir des idées fixes.

La recherche, appliquant l'activité de la pensée à des domaines auparavant inconnus du monde de la nature, est toujours le fait d'un autodidacte puisqu'elle doit inventer, au moins pour partie, les méthodes nécessaires et se créer le vocabulaire qui permette d'arpenter un terrain nouveau.

Le mépris envers l'autodidacte révèle donc une échelle qui de valeurs qui, au rebours de la démarche de recherche, exige un tampon administratif et respecte exclusivement le caractère officiel des programmes scolaires.

mercredi 25 août 2010

Révolution et réaction

Bien plus que les révolutions anglaise et américaine, la révolution française fut la Révolution, bouleversement radical d'un ordre social et d'une civilisation : tandis que la révolution anglaise du XVIIe siècle avait amorcé le passage vers la monarchie constitutionnelle et la représentation parlementaire et que la révolution américaine avait émancipé des colons, notre révolution fit pleinement émerger la société rationnelle, égalitaire et libérale qu'avaient préparée les Lumières.

Une telle émergence ne pouvait pas aller sans ambiguïtés ni oppositions. C'est pourquoi, comme l'a montré Zeev Sternhell, la France a été simultanément, et de façon dialectique, la patrie de la révolution et celle de la réaction : à l'origine des mouvements fascistes et nazis on trouve la pensée de réactionnaires français et francophones talentueux, Joseph de Maistre (1753-1821), Arthur de Gobineau (1816-1882), Maurice Barrès (1862-1923), Charles Maurras (1868-1952) etc.

L'opposition entre révolution et réaction se concrétise par deux autres oppositions qui se rejoignent : entre tradition et raison d'une part, entre l'ordre social hiérarchique et l'élitisme pour tous d'autre part.

vendredi 20 août 2010

Hommage aux Roms

Puisque le gouvernement est assez bête ou assez odieux pour entreprendre de chasser les Tziganes venus chez nous je recopie ici, pour remercier ces nomades de ce qu'ils nous apportent, un extrait du livre de Lesley Blanch Voyage au coeur de l'esprit (p. 105 et suivantes).
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Selon moi, les Tziganes étaient un ramassis de sauvages basanés, dansant féroces autour d'un feu de camp, lacérant leurs guitares, allongés sur des peaux d'ours, tout à la fois intrépides, chastes et nobles dans leurs amours, comme dans l'Aleko de Pouchkine, fièrement attachés à leurs lois tribales. S'il s'agissait de la sous-espèce domestique, ils auraient pour cadre, quoique également basanés et sauvages, un restaurant rouge et or, rempli de miroirs et de chandeliers. Or voici que l'avant-scène de ce cadre scintillant était peuplée de personnages encore plus sauvages. Là, des hussards buvaient dans les chaussons de satin des belles ballerines. Des hommes mystérieusement masqués, portant toujours leurs lourdes pelisses, doublées de zibeline, demandaient du champagne, toujours plus de champagne, lançant des billets en l'air et, rendus fous par la musique, obligeaient leurs maîtresses à danser nues sur les tables tandis que les Tziganes, devenus tout aussi fous, se brisaient guitares et archets sur la tête avant de se précipiter dans la tempête de neige, laissant aux débauchés le soin de se défier en duel ou de se faire sauter la cervelle. Tout cela aux accents des Deux guitares.

Inévitablement, la boîte de nuit sans prétention où nous arrivâmes ne pouvait que me décevoir (...).

mercredi 18 août 2010

Daniel Yergin, The Prize, Free Press, 2008

L'histoire de l'industrie du pétrole débute avec la découverte des gisements de Pennsylvanie en 1853 : ce livre étonnant décrit les aventures des entrepreneurs, l'évolution des techniques, les enjeux géopolitiques enfin.

Le pétrole a d'abord servi à l'éclairage : les lampes à pétrole éclairaient beaucoup mieux que les lampes à huile que l'on utilisait auparavant. Pour les alimenter une industrie s'est créée : extraction, raffinage, pipe-line. Des tankers transportaient vers l'Europe le pétrole américain...

La lampe électrique inventée par Edison en 1879 a failli porter un coup mortel à l'industrie du pétrole, qui a été sauvée par l'arrivée du moteur à essence et de l'automobile : la demande d'essence a pris le relais de celle du pétrole lampant.

lundi 16 août 2010

Du recueil des besoins au cahier des charges

Je publie ci-dessous la préface qu'Yves Constantinidis m'a aimablement demandée pour un ouvrage publié par les éditions Eyrolles, Expression des besoins pour le système d'information : le guide du cahier des charges.
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D'après le Standish Group les projets informatiques connaissent un taux d'échec qui ne serait toléré dans aucun autre domaine de l'ingénierie : de ses enquêtes, on peut retenir qu'en gros 25 % des projets échouent, 50 % aboutissent avec un délai et un coût très supérieurs à la prévision, 25 % seulement sont convenablement réussis.

En cas d'échec, on entend souvent dire « c'est la faute de l'informatique » mais en fait il convient de dire que, par principe, c'est toujours la faute du métier que le produit informatique devait outiller (maîtrise d'ouvrage, MOA). Certes il arrive que le réalisateur du produit (maîtrise d'œuvre, MOE) soit défaillant, mais alors la MOA aurait dû prendre en temps utile des mesures pour redresser la situation.

Souvent, d'ailleurs, le seul tort de la MOE sera d'avoir accepté un contrat impossible car l'ingénierie des besoins a été défaillante et le projet était donc condamné dès le départ : la MOA s'est lancée dans le projet sans savoir ce qu'elle voulait faire, sans avoir exprimé ses priorités ni levé les ambiguïtés du vocabulaire, puis par la suite elle a été versatile etc.