dimanche 31 janvier 2010

La dissémination des valeurs

Le téléspectateur, vautré sur son canapé, avale les images comme une boisson sucrée. Mais ce qui s'infiltre ainsi en lui est insidieux. Le commentaire, répété, finit par se classer parmi les évidences.

Secouons-nous pour écouter : nous voyons alors clairement les valeurs que les médias s'efforcent d'injecter dans nos cervelles.

L'effondrement d'un immeuble à Liège (9 morts) est ainsi un "accident spectaculaire". Guy Debord avait raison de dire que nous formions la "société du spectacle" : la télévision offre la mort d'autrui en spectacle au spectateur vautré.

Mais il y a mieux, ou plutôt pire. France 24, sous la rubrique environnement, montre un bébé qui vient de naître à l'Hôtel Dieu de Paris. "Il n'a que six heures, dit le commentateur que je cite et résume de mémoire, et il est le plus grand danger pour la planète : nous serons 9 milliards en 2050 et la planète ne pourra pas nourrir tout le monde". La même émission décrit, quelques instants après, les efforts des Chinois pour préserver les cigognes noires et les tigres, deux espèces en voie de disparition.

mercredi 27 janvier 2010

Retour (pénible) sur notre histoire

Un entrefilet du Monde m'a fait sursauter : la préfecture de Police de Paris a cru devoir, sur la base d'une règlementation étrange, mettre en doute la nationalité d'Anne Sinclair (voir son témoignage).

Ainsi il est demandé à chacun de prouver qu'il est bien français : ceux qui pour une raison ou une autre (papiers perdus etc.) ne pourront pas apporter cette preuve seront-ils dépouillés d'une qualité qui leur avait toujours été reconnue ?

Cela rappelle le régime de Vichy, qui a déchu de nombreuses personnes de la nationalité française (entre autres : De Gaulle, Leclerc et Mendès-France...).

mercredi 20 janvier 2010

Connaître ou apprendre ?

Nous avons l'habitude de vivre sur un capital acquis. Dans notre jeunesse, nous "faisons des études". Si nous sommes de bons élèves, bien appliqués, bien studieux, nous arrivons à grimper jusqu'à l'entrée dans une grande école (je dis bien l'entrée, car une fois dedans il n'y a plus beaucoup d'efforts à faire pour avoir le diplôme) ou jusqu'à l'honorable titre de docteur en quelque chose.

On a été formé en passant par les meilleures filières, on a eu 18 alors que les autres avaient 12 : donc on est meilleur qu'eux pour la vie durant.

Mais un capital de connaissance s'use si l'on ne s'en sert pas. J'ai connu à l'INSEE de grands chefs qui n'auraient plus été capables de calculer un écart-type, j'ai rencontré beaucoup de dirigeants qui avaient oublié jusqu'aux premiers éléments de la physique et des maths. Cela n'a aucune importance, pensaient-ils : on n'a plus besoin de connaître ces choses-là quand on dirige les autres, ceux qui savent.

Les titres de noblesse péniblement acquis lors de la formation initiale - énarque, polytechnicien, centralien, sup-élec, agrégé etc. - sont, pense-t-on, accompagnés d'une grâce d'état. Pour le restant de la vie, on en sait assez.

mardi 5 janvier 2010

Lorraine Data, Le grand truquage, La découverte, 2009

La plupart des données qui peuvent intéresser le citoyen font l’objet d’une présentation fallacieuse : Lorraine Data, pseudonyme collectif choisi par des agents de l’INSEE, dénonce la manipulation des données relatives au pouvoir d’achat et à la pauvreté, à l’emploi et aux heures supplémentaires, à l’éducation, l’immigration et enfin la délinquance.

La qualité des statistiques, tout comme la qualité des archives, est un sûr indicateur de la maturité d'une nation. Une nation qui ne se soucie pas de s'observer elle-même ni d’observer sa propre histoire, et qui s'en remet donc à des mythes en guise de connaissance, ne peut pas en effet accéder à la maturité politique ni maîtriser son destin. Dans le concert diplomatique, elle s'exprimera de façon infantile et capricieuse : sa parole n'ayant aucune autorité, personne ne l'écoutera.

De ce point de vue la France n'est pas bien placée : la statistique est chez nous encore et encore « critiquée » par des crétins qui se parent d'une légitimité intellectuelle ou médiatique.

L'indice des prix ne veut rien dire, disent-ils par exemple, parce que c'est une moyenne. Mais une moyenne, cela ne dit pas rien ! Et si l'on s'intéresse non à la moyenne, mais à la dispersion, il faut utiliser d'autres indicateurs (quantiles etc.) que la statistique fournit également – mais ces paresseux, ces prétentieux ne se donnent pas la peine de les regarder.

vendredi 1 janvier 2010

Pierre Musso, Télé-politique, L'Aube, 2009

Pierre Musso précise dans cet ouvrage l'analyse qu'il avait présentée dans Le Sarkoberlusconisme. La comparaison des trajectoires des deux héros de la politique européenne que sont Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi prend ici une vigueur saisissante ainsi que la description du « télépol », articulation du politique avec la télévision.

Une part du personnage de Berlusconi s'explique par ses débuts comme animateur de soirées sur des bateaux de croisière. Ce dur métier oblige à mettre de côté les éventuels soucis personnels pour montrer, en permanence, un visage réjoui et entraînant. Celui qui est passé par cette école saura présenter une apparence soigneusement calculée, d'autant mieux réussie qu'elle semble plus spontanée.

Une autre part s'explique par sa trajectoire – après avoir été amuseur il est devenu promoteur immobilier, puis commerçant, publicitaire, entrepreneur médiatique, homme politique enfin – et cette trajectoire constitue, de façon géniale, une suite cumulative d'initiations. Oui, je dis bien « de façon géniale » : il faut du génie pour tirer partie des aléas de la vie en accumulant continuellement du potentiel.