samedi 28 novembre 2009

Efficacité de l’entreprise contemporaine (série)

Ce texte est le premier d'une série qui se poursuit par les textes suivants :
L'économie quaternaire
Les « petits mondes »
Le mythe de la carrière
Le rendement sociologique de l'entreprise
Une réalité que l'on ne veut pas voir
Pour un « commerce de la considération »

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L’entreprise efficace est celle qui produit des choses utiles sans gaspiller de ressources.

Cette définition de l’efficacité s’écarte du point de vue des parties prenantes : actionnaires, salariés, dirigeants etc. Elle considère le rapport entre d’une part la société, à qui l’entreprise offre ses produits, d’autre part la nature où l’entreprise puise ses ressources.

vendredi 27 novembre 2009

L’économie quaternaire

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

L’entreprise type d’autrefois était une entreprise industrielle comportant des usines où travaillaient de nombreux ouvriers ; la conception des produits, l’organisation du travail étaient réalisées par des bureaux d’étude occupant un nombre plus réduit de personnes ; les services de commercialisation et de distribution avaient également des effectifs relativement modestes.

L’informatisation de l’économie a conféré à l’entreprise contemporaine une tout autre structure. La production des biens étant automatisée, les effectifs qui lui sont consacrés ont fondu. Les produits sont devenus des assemblages de biens et de services et l’emploi est majoritairement consacré d’une part à la conception des produits, d’autre part aux services qu’ils comportent. Cette économie-là n’est plus dominée par l’industrie, par le secteur secondaire, et elle ne se réduit pas non plus au seul secteur tertiaire : on peut la qualifier de « quaternaire ».

jeudi 26 novembre 2009

Les « petits mondes »

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

La ressource humaine, mentale, de l’entreprise se découpe en spécialités. A l’intérieur d’un même métier plusieurs spécialités cohabitent : on trouve à la DRH des spécialistes de la paie et des spécialistes de la formation ; à la direction informatique, des spécialistes des réseaux, de l’exploitation, de la programmation, de l’architecture etc.

Certes les ouvriers de l’entreprise industrielle étaient des spécialistes (mécanos, électriciens, soudeurs etc.) mais dans l’entreprise du quaternaire, composée principalement de cadres, les spécialités sont devenues « pointues » : elles exigent des compétences dont l’acquisition suppose une formation longue. Chaque spécialité constitue par ailleurs un « petit monde » où l’on parle un langage spécifique, où l’on partage une culture et des valeurs particulières.

Les dirigeants forment une spécialité parmi les autres. Sa fonction est d’orienter l’entreprise en définissant ses priorités et en arbitrant entre ses projets, de gérer aussi l’incertitude propre à l’action stratégique. Cette spécialité, certes utile, n’est contrairement à l’étymologie du mot « hiérarchie » pas plus « sacrée » qu’une autre.

mercredi 25 novembre 2009

Le mythe de la carrière

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

Observons une promotion à la sortie d’une école d’ingénieurs. Les individus sont encore des camarades qui échangent volontiers leurs impressions sur l’entreprise. Mais bientôt ils deviennent des concurrents : chacun surveille les autres pour s’assurer que personne ne le dépasse, qu’il ne prend pas de retard dans la chasse aux responsabilités. Ceux qui trouvent des raccourcis (le « piston ») sont enviés et détestés.

L’image qui s’impose est celle de naufragés dont les têtes dépassent la surface de la mer ; un cargo s’approche, une large échelle est lancée le long de son flanc, chacun s’y agrippe et s’emploie à grimper. Certains malins, ayant trouvé chemin faisant l’ouverture d’un hublot, arrivent sur le pont plus vite que les autres…

La course à la carrière fait naturellement suite à une scolarité elle-même orientée par le classement : elle prolonge l’adolescence et recule d’autant la maturité.

mardi 24 novembre 2009

Le rendement sociologique de l’entreprise

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

La sociologie de l’entreprise s’explique, pour une part prédominante, par le conflit entre corporations et par la concurrence pour la carrière au sein de la corporation. Une proportion de l’énergie mentale des cadres est dépensée dans ces batailles et c’est autant de perdu pour l’efficacité : il serait trop optimiste de croire que celle-ci puisse résulter, par miracle, de comportements qui ont un tout autre but. Le pourcentage de l’énergie ainsi dissipée varie d’une entreprise à l’autre et il est bien sûr difficile de l’évaluer. Est-il de 30 %, 40 %, 50 % ?

Certains penseront que la perte d’efficacité n’est pas si forte que cela. Mais dans une entreprise où le travail, essentiellement mental, est accompli principalement par des cadres, croit-on qu’il puisse être indifférent qu’ils aient l’esprit ailleurs au lieu de concentrer leur attention sur la qualité des produits, la satisfaction des clients, l’efficacité de la production ? L’indifférence à la finalité de l’entreprise n’est-elle pas à l’origine de ces absurdités que l’on rencontre si souvent ? N’est-elle pas la cause de ces injonctions contradictoires qui provoquent chez les salariés le stress, la dépression dont on a tant de témoignages ? Ne met-elle pas les cerveaux à la torture ?

lundi 23 novembre 2009

Une réalité que l’on ne veut pas voir

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

« Y penser toujours, n’en parler jamais », disait Gambetta à propos de l’Alsace-Lorraine. C’est ainsi que les cadres se comportent envers la carrière : la préoccupation tourne dans leur cervelle en tâche de fond mais ils n’en parlent presque jamais.

Dans les rapports entre personnes, entre corporations, une prime est donnée à une brutalité que l’on interprète comme un signe d’énergie. « Ses dents rayent le parquet, c’est un tueur », dit-on avec une admiration craintive, et les plus peureux ont tôt fait de comprendre qu’il faut prendre un air féroce pour se faire respecter.

Le « réalisme », ainsi conçu, exige que l’on se comporte en brigand. Les salariés sont maltraités, les sous-traitants réduits à quelque chose qui ressemble à de l’esclavage, les clients grugés, les partenaires volés.

dimanche 22 novembre 2009

Pour un « commerce de la considération »

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

Pour améliorer le rendement de l’entreprise, la première étape est de prendre conscience du phénomène sociologique. Comme celui-ci est collectif il faut que cette conscience soit elle-même collective. Plutôt que de constater ses effets et de se lamenter, il faut remonter à leur cause, l’identifier et l’attaquer hardiment.

Les réseaux d’allégeance, par exemple, se confortent par la corruption. Or l’intensité de celle-ci dépend de la possibilité de blanchir des liquidités illicites. Lutter contre le blanchiment permet de réduire la virulence de ces réseaux, sinon de les supprimer.

Il sera difficile de dissiper le mythe de la carrière, mais l’entreprise pourrait être plus attentive qu’elle ne l’est au rôle des animateurs.

dimanche 15 novembre 2009

L'informatisation et la souffrance au travail

Le texte ci-dessous est celui de mon exposé le 17 novembre 2009 devant le groupe de travail TIC de la commission « Souffrance au travail » de l’Assemblée nationale.

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Je vous remercie de m’avoir invité à cette audition. Quelques mots pour me présenter : je suis administrateur de l’INSEE, donc statisticien et économiste de formation. Je suis en outre docteur en histoire économique.

Dans les années 80, j’ai monté une mission économique au CNET, le centre de recherche de France Telecom. Cela m’a fait découvrir ce qui se préparait en informatique. J’ai créé dans les années 90 des entreprises de conseil et j’ai travaillé pour plusieurs grandes entreprises : France Télécom, Air France, l’ANPE notamment.

Depuis 1998 je publie mes travaux sur le site www.volle.com, qui a été l’un des premiers blogs. J’ai publié trois ouvrages : e-conomie, en 2000, décrit l’équilibre de l’économie informatisée ; De l’informatique, en 2006, est consacré au phénomène de l’informatisation ; Prédation et prédateurs, en 2008, se focalise sur les risques que comporte l’économie contemporaine.

Aujourd’hui je préside le groupe de travail « Informatisation » de l’Institut Montaigne. Je vais vous présenter notre point de vue sur ce thème tout en mettant en perspective le sujet qui préoccupe votre commission, c’est-à-dire la souffrance au travail.

mardi 10 novembre 2009

Muhammad Yunus, Vers un nouveau capitalisme, JC Lattès, 2008

Voici un grand livre d’économie, un livre créatif.

Je classe les livres d’économie en deux catégorie : les scolaires et les créatifs. Les scolaires s’appuient sur des acquis de la théorie dont ils exagèrent la portée (ils posent par exemple que « l’entreprise maximise le profit » ou que « le prix est égal au coût marginal »), ils abondent souvent en équations qui font savant.

Les livres créatifs partent non de ces acquis fragiles mais des fondations de la pensée économique, sur lesquelles ils édifient une architecture solide mais que la théorie avait jusqu’alors ignorée. S'ils recourent aux mathématiques, c'est avec sobriété : un créateur a d’autres priorités que de faire le singe savant. Yunus est un créateur.

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Les habitants du Bangladesh sont pauvres alors qu’ils travaillent intensément. Comment cela peut-il se faire ? Yunus va sur le terrain avec ses étudiants, enquête, interroge, réfléchit et enfin trouve l’explication : les pauvres manquent du petit capital qui les sortirait de la griffe des usuriers. Mais au Bangladesh comme ailleurs les banques ne prêtent qu’aux riches…

Pierre-Jean Benghozi et alii, L’Internet des objets, MSH, 2009

Ce petit livre clair, dense et rigoureux décrit le monde en train de se construire autour des RFID (Radio Frequency Identification), en français « puces rayonnantes ».

On les connaît depuis longtemps : je me rappelle mes conversations avec Benoît Eymard au CNET dans les années 80. Elles sont présentes dans le passe Navigo de la RATP, dans les systèmes de télé-péage etc.

Leur utilisation se diversifie, bientôt on les trouvera partout. Mais elles ne constituent qu’une pièce d’un système, ou plutôt d’un système de systèmes. Pour illustrer cela, je condense ici un passage du livre (p. 20) : « Le cas de la grande distribution illustre les potentialités et la complexité de l’Internet des objets : il faut (1) un système local dans les entrepôts et magasins du distributeur ; (2) une intégration des données à son système d’information afin de pouvoir les traiter et les analyser ; (3) un système chez les fournisseurs, interopérable avec celui des distributeurs ; (4) un système chez les consommateurs, permettant de repérer les produits périmés et de lancer le réapprovisionnement ».

lundi 9 novembre 2009

Taylor, The Principles of Scientific Management, 1911

Le mot « taylorisme » évoque l’ouvrier dont le corps et le cerveau sont assujettis à la machine et la silhouette de Charlie Chaplin dans Les temps modernes : alors que l’inventeur du travail à la chaîne est Henry Ford (1863-1947) et non Frederick Winslow Taylor (1856-1915), on confond dans une même réprobation le taylorisme et le fordisme.
Mais si l’on prend la peine de lire Taylor on découvre des choses qui n’ont rien à voir avec ce qui a été mis sous le mot « taylorisme ». Même si l’entreprise industrielle de l’époque de Taylor n’est pas l’entreprise informatisée d’aujourd’hui, on trouve donc des leçons utiles dans ses travaux.

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Taylor a observé attentivement, et dans le détail, le processus de travail dans les usines. Il constate alors que laissés à eux-mêmes les ouvriers mettent au point des « règles de pouce » souvent inefficaces, et que par ailleurs le travail en équipe les incite à « ne pas faire de zèle » car celui qui travaille mieux que les autres en est vite dissuadé.

dimanche 8 novembre 2009

À propos de Lévi-Strauss

Sur la couverture de La pensée sauvage, de Claude Lévi-Strauss, on voit l'image d'une fleur, la pensée sauvage viola tricolor.


Associer ainsi la pensée, activité du cerveau, à la plante homonyme, c'est exactement un calembour. Ce procédé rhétorique provoque la confusion des idées mais certains intellectuels français semblent croire qu'il procure de la profondeur à leur propos.

Que pouvais-je attendre d'un auteur qui, dès le porche de son ouvrage, confond dans un même symbole le monde de la pensée et celui des végétaux ? Le calembour qui orne la couverture de La pensée sauvage, loin de me faire sourire, m'a fermé l'accès à la pensée de Claude Lévi-Strauss : il m'a inspiré une telle répugnance que je n'ai jamais pu lire ne serait-ce qu'une ligne de lui (et que celui qui a tout lu me jette la première pierre !).

Comme j'ignore tout de cette pensée, je n'en dirai rien mais ce que j'en lis dans certains commentaires me semble étrange. Ainsi J.M.G. Le Clézio a écrit, dans un article du New York Times daté d'hier, "(Lévi-Strauss shows the) “primitive” people as the equals of those in the most elevated cultures of the civilized world".

Quelle drôle de phrase ! le signe "égale" (equals) est à faible distance du signe "supérieur à" (most elevated), "primitive" est entre guillemets alors que "civilized" en est dépourvu... Mais on voit bien la cible que vise la flèche : il s'agit de suggérer que toutes les cultures se valent, que toutes les civilisations se valent ; c'est d'ailleurs bien cette idée que l'on retrouve, associée à des éloges, dans plusieurs des commentaires sur Lévi-Strauss.

mercredi 4 novembre 2009

Arnaud Teyssier, Lyautey, Perrin, 2004

En lisant cette passionnante biographie le lecteur voyage dans le temps : il découvre à travers Lyautey ce que furent les préoccupations des personnes nées vers le milieu du XIXe siècle – ou du moins de celles qui, comme Lyautey, étaient nées dans une famille française aisée, cultivée et où l’on se mettait au service de la nation.

A la suite d’un accident Lyautey passera au lit une partie de son enfance, entouré des soins affectueux de plusieurs femmes. Il y prendra le goût de la lecture et de l’introspection, le goût aussi d’un intérieur douillet.

Il parle et écrit fort bien, son regard est vif et précis, il dessine à merveille. Sa sensibilité esthétique, enrichie par une solide culture historique et une lecture abondante et choisie, alimente un excellent jugement stratégique : plus tôt et plus nettement que d’autres il anticipera les catastrophes que préparent la conduite de la guerre de 14-18, la révolution russe, le traité de Versailles.